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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/541

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LETTRES ECRITES AVANT l'EPISCOPAT.

certainement votre frère Victor n’abandonnera pas. Je n’ai voulu vous écrire rien de plus pour ne pas vous détourner de cette pensée.

LETTRE XI.


(389.)

Pourquoi le Fils de Dieu s’est-il seul fait homme, tandis que les trois personnes divines sont inséparables ? Après avoir rappelé que ces trois personnes sont inséparables en Dieu, comme l’être, la forme et le désir de la conservation sont inséparables dans toute nature[1], saint Augustin répond à Nébride que l’Incarnation devant présenter aux hommes une règle vivante, il convenait que la personne incarnée fût la seconde, puisque son caractère propre est d’être la règle même, et l’intelligence qui éclaire : et de même qu’en demandant quelle est la nature d’une chose, on demande implicitement, et si elle est et quelle en est la valeur ; ainsi, en connaissant le Fils, on est conduit à connaître le Père, principe unique de tout être, et à connaître l’Esprit-Saint, dont l’ineffable onction nous porte à mépriser ce qui est mortel pour nous attacher à ce qui est éternel[2].

AUGUSTIN A NÉBRIDE.

1. Vivement agité par les questions et les affectueux reproches que vous m’avez depuis longtemps adressés sur nos projets de réunion, j’étais décidé à ne vous écrire et à ne solliciter vos réponses que pour cela, et à suspendre ce qui appartient à nos études jusqu’à ce que nous eussions-pris un parti, lorsqu’une bonne et courte parole de votre dernière lettre m’a rendu le repos : – nous n’avons pas, dites-vous, à nous creuser la tête sur ce point quand je pourrai aller vers vous ou quand vous pourrez venir vers moi, nous le ferons l’un et l’autre bien certainement. – Ainsi tranquillisé, je me suis mis à parcourir toutes vos lettres pour savoir quelles réponses je vous devais ; j’y ai trouvé tant de questions que, fussent-elles d’une solution aisée, il n’est personne dont elles n’écraseraient, par leur accumulation, l’esprit et le loisir. Mais elles sont difficiles, et une seule suffirait pour m’accabler. Le but de cet exorde est d’obtenir de vous que vous restiez un peu de temps sans m’adresser des questions nouvelles ; attendez que j’aie payé toutes mes dettes et que vous puissiez me donner votre avis sur mes réponses. J’ose vous dire cela, quoique je sache bien tout ce que me coûte le moindre retard dans la communication de vos divines pensées.

2. Écoutez donc ce qui est mon sentiment sur l’incarnation mystérieuse accomplie pour notre salut, ainsi que notre religion nous recommande de le croire et de le connaître. Je n’ai point choisi cette question comme pouvant m’offrir une plus facile réponse ; mais les questions relatives au monde ne me semblent pas appartenir assez à l’heureuse vie à laquelle tendent nos efforts ; et si leur recherche n’est pas sans quelque plaisir, on doit craindre cependant qu’elle ne prenne un temps destiné à de meilleures études.

Vous êtes ému et inquiet que ce soit le Fils qui ait revêtu la nature humaine et non point le Père ni le Saint-Esprit. Car comme l’enseigne la foi catholique et comme le comprennent un petit nombre d’âmes saintes et bienheureuses, cette Trinité est tellement inséparable, que tout ce qu’elle fait est fait en même temps par le Père, le Fils et le Saint-Esprit, de manière que le Père ne fait rien que ne fassent et le Fils et le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit ne fait rien que ne fassent et le Père et le Fils, et le Fils ne fait rien que ne fassent et le Père et le Saint-Esprit. Il semble qu’il faille en conclure que toute la Trinité ait pris la nature humaine ; car si le Fils s’est uni à notre nature et non point le Père et le Saint-Esprit, les trois personnes divines peuvent donc faire quelque chose séparément. Et pourquoi alors, dans nos mystères et nos saintes cérémonies, l’Incarnation est-elle attribuée au Fils ? Voilà bien toute votre objection, et elle porte sur une si grande chose que les explications suffisantes et les preuves assez fortes manqueront toujours. J’ose toutefois, comme c’est à vous que j’écris, vous communiquer. ce qui me vient à l’esprit, moins pour vous le développer que pour vous l’indiquer : votre génie, votre amitié qui me comprend si bien, devineront le reste.

3. Il n’existe aucune nature, mon cher Nébride, aucune substance qui n’ait en soi et ne fasse paraître ces trois choses : d’abord être, puis être ceci ou cela, troisièmement rester ce qu’elle est autant qu’elle le peut. La première de ces choses nous montre la cause même de la nature, de laquelle tout est sorti ; la seconde, l’espèce et la forme des êtres ; la troisième, leur manière de demeurer ce qu’ils sont. S’il peut se faire que ce qui est ne soit pas ceci ou cela, et ne demeure pas dans sa nature, ou bien soit ceci ou cela sans être et sans demeurer dans sa nature autant qu’il le

  1. N.3.
  2. N.4.