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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/545

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LETTRES ECRITES AVANT l'EPISCOPAT.

d’autres saints et à d’autres sages ? Si vous le comparez aux plus sublimes d’entre les hommes, vous trouverez entre eux et lui plus de différence encore qu’entre le soleil et les autres astres. Réfléchissez avec votre rare esprit à cette comparaison que j’indique en passant, et peut-être y trouverez-vous réponse à une question que vous m’aviez posée sur l’humanité du Christ.

4. Vous désirez aussi savoir si cette vérité suprême, cette suprême sagesse, cette forme première des choses, par laquelle tout a été fait, que notre religion déclare être le Fils unique de Dieu, renferme la raison générale de l’homme et la raison même de chacun de nous. Grande question ! Il me parait que, pour faire l’homme, il y a en lui la raison de l’homme seulement, non la mienne ni la vôtre ; mais que, pour former le cercle des temps, les diverses raisons des hommes vivent dans cette Intelligence toujours pure. Ceci est fort obscur, et j’ignore par quelle comparaison on pourrait l’éclaircir, à moins qu’on ne recourût aux sciences dont l’idée est au fond de notre esprit. Dans la géométrie l’angle a sa raison, le carré a la sienne. Toutes les fois que je veux marquer un angle, c’est seulement l’idée de l’angle qui se présente à moi ; mais je ne pourrai jamais tracer un carré sans avoir en même temps l’idée de quatre angles : ainsi chaque homme est fait d’après la raison unique par laquelle il est un homme ; mais, pour qu’il y ait un peuple, quoique la raison soit une, ce n’est plus la raison de l’homme qu’il faut, c’est la raison des hommes. Nébride fait partie de l’universalité, et l’universalité se compose de parties ; le Dieu qui est le créateur de ce tout a dû avoir la raison des parties. C’est pourquoi ce qui est en lui la raison de plusieurs hommes n’appartient pas à l’homme même, quoique, par des moyens merveilleux, tout soit de nouveau ramené à l’unité. Mais vous y repenserez à votre aise ; contentez-vous de cette lettre qui déjà dépasse la taille de Naevius.

LETTRE XV.


(Année 390.)

Saint Augustin manque de tablettes ou de parchemins pour écrire. Il annonce à Romanien son livre sur la Vraie Religion, et l’exhorte à élever son âme au-dessus des biens temporels.

AUGUSTIN A ROMANIEN.

1. Cette lettre en vous prouvant que je manque de papier, ne doit pas vous donner à penser que je sois plus riche en parchemin. J’ai écrit à votre oncle sur les tablettes d’ivoire que j’avais, et, quant à vous, vous pardonnerez facilement à cette petite peau ; ce que je devais dire à votre oncle ne pouvait pas se différer, et il eût été fort mal de ne pas vous écrire aussi mais s’il reste chez vous des tablettes qui m’appartiennent, envoyez-les-moi pour des besoins de ce genre. J’ai composé quelque chose sur la religion catholique[1], autant que le Seigneur a daigné me le permettre ; je veux vous l’envoyer avant d’aller vers vous, si toutefois le papier ne me manque point. Vous vous contenterez d’une écriture quelconque, sortie de l’officine de ceux qui sont avec moi. Des ouvrages dont vous me parlez, je ne me rappelle que les livres de l’orateur ; mais je n’ai pu vous répondre rien de plus, que de vous engager à prendre vous-même ce qui vous conviendrait : c’est toujours mon sentiment ; absent je ne trouve pas à faire davantage.

2. J’ai été charmé que, dans votre dernière lettre, vous ayez bien voulu me faire part de votre joie domestique ; mais m’ordonnez-vous d’ignorer ce qu’il en est de la face d’une « mer tranquille et des flots en repos[2] ? » Et je sais que vous ne me l’ordonnez pas et que vous ne l’ignorez pas. Si quelque loisir vous est donné pour penser plus sérieusement que vous ne l’avez fait jusqu’à ce jour, profitez d’une faveur aussi divine. Quand ces choses nous arrivent, ce n’est pas nous-mêmes qu’il faut féliciter, mais ceux-là par qui elles nous viennent ; l’administration juste et charitable des biens temporels, accompagnée de calme et de paix, peut nous valoir la récompense des biens éternels, si nous possédons ces richesses sans qu’elles nous possèdent, si leur accroissement n’embarrasse pas notre vie, si lorsque

  1. Le livre de la Vraie Religion. Voyez l’Histoire de saint Augustin, chap. VIII, ci-dessus, p. 49-51.
  2. Virgile, Enéide, V.