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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/544

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LETTRES DE SAINT AUGUSTIN. — PREMIÈRE SÉRIE.

nous écoutons ; la première nous fait chercher ce que Dieu a mis en nous ; la seconde nous transmet par les sens ce que Dieu nous répond. Ceci admis, personne ne peut savoir si le corps dont il s’agit existe, avant que les sens lui en aient révélé quelque chose. Il peut se faire qu’il se rencontre des êtres vivants avec des sens assez subtils pour de telles perceptions, mais, l’insuffisance des nôtres étant évidente, je crois avoir raison en vous répétant ce que j’avais commencé à vous dire plus haut, c’est que la solution d’une question semblable n’est pas de notre ressort. Veuillez y penser encore, et ne manquez pas de me communiquer le fruit de vos méditations.

LETTRE XIV.


(A la fin de l’année 359.)

Réponse à d’autres questions de Nébride. Pourquoi le soleil ne fait-il pas la même chose que les autres astres ? – Si la vérité suprême renferme la raison de chaque homme. – Belles pensées de saint Augustin sur le Christ et sur la création.

AUGUSTIN A NÉBRIDE.

1. J’aime mieux répondre à vos dernières lettres. Ce n’est pas que je dédaigne vos questions précédentes ou qu’elles me plaisent moins ; mais je me prépare à y répondre par quelque chose de plus grand que vous ne pensez. Vous me demandez une lettre plus longue que les plus longues que je vous aie adressées ; je n’ai pas autant de loisir que vous croyez et que j’en ai toujours souhaité, comme vous savez, et que j’en souhaite encore. Ne demandez pas pourquoi il en est ainsi : il me serait plus aisé de vous dire tout ce qui m’empêche que de vous dire pourquoi je suis empêché.

2. « Tandis que vous et moi nous faisons beaucoup de choses qui se ressemblent, pourquoi le soleil ne fait-il pas ce que font les autres astres? » voilà ce que vous m’écrivez. Mais si nous agissons de même, il en est souvent ainsi du soleil à l’égard des autres astres ; je marche et vous marchez, le soleil et les astres se meuvent. Je veille et vous veillez, le soleil et les astres luisent ; je discute et vous discutez ; le soleil tourne et les astres aussi : je ne veux pas pour cela mettre sur la même ligne les opérations de l’âme et rien de ce qui frappe les yeux. En comparant l’esprit à l’esprit, et s’il y a dans les corps célestes quelque principe d’intelligence, vous trouverez que, sous ce rapport, les astres sont bien autrement semblables entre eux que ne le sont les hommes. Au reste, si vous voulez porter votre attention accoutumée sur les mouvements des corps, vous verrez qu’il n’y a pas deux hommes dont les mouvements se ressemblent. Quand nous nous promenons ensemble, pensez-vous que nous marchions tous les deux de même ? votre sagesse ne le croit point. Celui de nous qui chemine le plus près du nord, dépassera l’autre avec une marche égale ou bien il devra s’avancer plus lentement : on peut ne pas sentir la différence. Mais, si je ne me trompe, vous regardez à ce que nous comprenons et non pas à ce que nous sentons. Supposez que nous allions du septentrion au midi, côte, à côte autant que possible, posant le pied sur un marbre uni ou sur de l’ivoire : il y aura toujours une différence dans votre mouvement et dans le mien, comme dans le battement de notre pouls, dans notre personne, dans notre visage. Mettez à notre place les enfants de Glaucus, et vous ne serez pas plus avancé ils ont beau être jumeaux et parfaitement semblables, il faut qu’ils se meuvent séparément comme leur naissance fut distincte.

3. « Mais, me direz-vous, ceci n’est aperçu que par la raison, et la différence entre le soleil et les autres astres est d’une claire évidente pour les sens. » Si c’est la grandeur du soleil que vous voulez que je considère, vous savez bien ce qu’on dit de la distance qui le sépare des autres astres, et combien il est incertain que le soleil soit plus grand. Quand même je vous accorderais, comme je le crois, que l’apparence est ici conforme à la réalité[1], Naevius[2] ne s’élève-t-il pas d’un pied au-dessus des six pieds qui sont la plus haute taille des hommes ? Vous avez beaucoup cherché quelqu’un d’aussi grand, et, n’en ayant point trouvé, vous m’avez demandé une lettre de la taille de Nœvius. Si quelque chose de pareil se rencontre sur la terre, nous n’aurons pas tant à nous étonner de ce qui se trouve dans le ciel.

S’il vous semble extraordinaire que le soleil soit le seul astre qui éclaire le jour, quel homme, dites-moi, s’est jamais montré au monde avec autant de grandeur que cet homme à qui Dieu s’est uni bien autrement qu’il ne l’avait fait à

  1. Nous n’avons pas besoin de faire remarquer que l’astronomie était peu avancée au temps de saint Augustin.
  2. Quel est ce Nœvius ? nous l’ignorons.