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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/548

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LETTRES DE SAINT AUGUSTIN. — PREMIÈRE SÉRIE.

n’avez pas craint de recourir à Virgile et de vous appuyer sur le vers où il dit :

Chacun suit son plaisir[1].

Si l’autorité de Virgile vous plaît, comme vous nous le dites, ceci vous plaira certainement encore :

Saturne, le premier, vint de l’Olympe éthéré,
fuyant les armes de Jupiter,
et proscrit de ses royaumes
qu’on lui avait enlevés[2].

Je pourrais vous citer d’autres passages où le poète veut faire entendre que vos dieux n’ont été que des hommes. Il avait lu une grande histoire revêtue d’une ancienne autorité, une histoire connue aussi de Cicéron qui, dans ses dialogues, dit plus de choses que nous n’aurions osé lui en demander, et s’efforce d’amener la vérité à la connaissance dès hommes, autant que le lui permettaient les temps.

4. Vous donnez à votre religion la préférence sur la nôtre, parce que vous honorez publiquement vos dieux et que nous avons, nous, des assemblées secrètes ; mais pourquoi, je vous prie, oubliez-vous ce Liber[3] que vous ne laissez voir qu’à un petit nombre d’initiés ? En nous remettant en mémoire la célébration en plein jour de vos cérémonies, vous avez voulu évidemment que nos yeux retrouvassent le spectacle des décurions et des chefs de la cité s’en allant comme des furieux à travers vos places publiques et hurlant comme des bacchantes : dans une semblable fête, si un Dieu habite en vous, voyez quel est ce Dieu qui vous fait perdre la raison. Si ces frénésies sont simulées, qu’est-ce que c’est que ces cérémonies publiques qui autorisent de tels mensonges ? Et si vous êtes devins, pourquoi n’annoncez-vous pas les choses futures ? et si vous êtes sains d’esprit, pourquoi volez-vous les gens qui se trouvent sur votre chemin ?

5. Tandis que votre lettre m’a fait souvenir de ces choses et d’autres que je passe maintenant sous silence, pourquoi ne nous moquerions-nous pas de vos dieux, dont on verra bien que vous vous êtes habilement moqué vous-même, pour peu qu’on connaisse votre esprit et qu’on ait lu de vos lettres ? C’est pourquoi, si vous voulez que nous traitions ces questions comme il convient à votre âge et à votre sagesse, et comme le peuvent désirer nos amis les plus chers, cherchez quelque chose qui soit digne de discussion : parlez en faveur de vos dieux un langage quine vous donne pas l’air d’un prévaricateur de leur cause, et qui ne soit pas un avertissement de ce qu’on peut dire contre eux au lieu de servir à leur défense. Cependant, pour que vous ne l’ignoriez pas et que vous ne retombiez point imprudemment dans des reproches sacrilèges, sachez que les chrétiens catholiques, dont une église est établie dans votre ville, n’adorent point les morts ni rien de ce qui a été fait et créé par Dieu, mais qu’ils adorent ce Dieu unique, auteur et créateur de toutes choses. Nous traiterons ceci plus amplement, avec l’aide de ce même vrai et unique Dieu, lorsque je saurai que vous voulez le faire gravement.

LETTRE XVIII.

(390)
Trois genres de natures.

AUGUSTIN A CÉLESTIN.[4]

1. Que ne puis-je vous répéter toujours une chose, c’est qu’il faut renoncer à ce qui est vain pour ne nous charger que des soins utiles ! car je ne sais si on peut espérer en ce monde quelque sécurité. J’ai écrit et n’ai reçu aucune réponse. Je vous ai envoyé ceux de mes livres contre les manichéens qui étaient tout prêts et revus, et vous ne m’avez rien fait connaître ni de votre opinion, ni de notre dessein. Maintenant je dois vous les redemander et vous devez me les rendre. Ne différez donc pas de me les renvoyer avec votre réponse, par laquelle je désire savoir ce que vous avez fait de ces livres, ou de quelles armes vous avez encore besoin pour combattre l’erreur des manichéens.

2. Voici, pour vous que je connais, quelque chose de grand dans sa brièveté. Il y a une nature changeante à travers les lieux et les temps, c’est le corps. Il y a une nature changeante, non pas à travers les lieux, mais seulement à travers les temps, c’est l’âme. Et il est une nature que : ni les lieux ni les temps ne peuvent changer, c’est Dieu. Ce qui est changeant de

  1. Virgile, Eglogue III.
  2. Virgile, Enéide, VIII.
  3. Bacchus était adoré à Madaure, sous le nom de Liber ou Lenaeus Pater, par un certain nombre d’adeptes. Nous trouvons ce nom dans une inscription rapportée de Mdaourouche, consacrée à la mémoire de Titus Clodius Lovella, édile, duumvir, questeur, flamine perpétuel, prêtre de Liber Pater. M. Léon Rénier a reproduit cette description dans le travail que nous avons déjà cité.
  4. Quel est ce Célestin ? est-ce le même qui fut pape trente-deux ans plus tard et qui est connu dans l’histoire sous le nom de saint Célestin ? Nous l’ignorons