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LETTRES ECRITES AVANT l'EPISCOPAT.

me punir d’avoir osé reprendre beaucoup de nautonniers, me croyant plus docte et meilleur qu’eux, avant que j’eusse connu par expérience la difficulté de l’œuvre. C’est après avoir été mis en avant que j’ai commencé à sentir la témérité de mes censures, quoique le saint ministère m’ait toujours paru plein de dangers. Voilà pourquoi, au temps de mon ordination, quelques-uns de mes frères me virent, dans la ville, verser des larmes ; ne sachant pas la cause de ma douleur, ils me consolaient, comme ils pouvaient et dans de bonnes intentions, par des discours qui n’allaient pas à mon mal. Mais l’expérience a dépassé toute idée que je m’étais faite de ce gouvernement des âmes ; ce n’est pas que j’aie vu des flots ou des tempêtes que je ne connusse pas, dont je n’eusse pas entendu parler et que les livres ou la réflexion ne m’eussent retracés ; mais je m’étais mal rendu compte de ce que je pouvais avoir de force et d’habileté pour éviter ou soutenir ces orages, et je me croyais capable de marcher et de lutter ; le Seigneur s’est ri de moi et m’a montré dans l’action le peu que je vaux.

3. Si Dieu l’a fait plutôt par miséricorde que pour ma condamnation, ce que j’espère avec confiance aujourd’hui que je connais ma faiblesse, je dois rechercher tous les remèdes qui sont dans ses Écritures, je dois prier et lire afin que mon âme devienne propre à d’aussi périlleuses affaires : le temps m’a manqué pour cela jusqu’à ce jour. J’ai été ordonné alors même que je songeais à me donner du loisir pour étudier les divines Écritures ; je prenais mes dispositions pour me ménager du repos à cette intention. Et ce qui est vrai, c’est que je ne savais pas encore ce qui me manquait pour des fonctions comme celles qui me tourmentent et m’écrasent aujourd’hui. Si après avoir appris ce qu’il faut à un homme chargé de dispenser au peuple les sacrements et la parole de Dieu, il ne m’est pas permis d’acquérir ce que je reconnais ne pas avoir encore, vous voulez donc que je périsse, ô mon père Valère ! où est votre charité ? m’aimez-vous ? aimez-vous l’Église dont vous m’avez confié l’administration ? Je suis sûr que vous m’aimez et que vous l’aimez. Mais vous me croyez capable ; et moi, je me connais mieux, et je ne me connaîtrais pas aussi bien si l’expérience n’avait pas été pour moi une grande lumière.

4. Mais votre Sainteté dira peut-être : « Je voudrais savoir ce qui manque à votre instruction. » Ce qui me manque est si considérable que j’aurais bien plutôt fait de vous énumérer le peu que j’ai que tout ce que je désire avoir. J’oserais dire que je sais et que je crois tout ce qui appartient à notre salut. Mais sais-je comment il faut l’exposer pour le salut des autres, cherchant non pas ce qui m’est utile, mais ce qui doit l’être à plusieurs afin qu’ils soient sauvés ? Il y a peut-être ou plutôt il y a sans doute, dans les livres saints, des conseils qui peuvent aider l’homme de Dieu à bien remplir les saintes fonctions ecclésiastiques, à vivre en bonne conscience avec les méchants, ou bien à mourir de manière à ne pas perdre cette précieuse vie après laquelle seule soupirent les cœurs chrétiens, humbles et doux. Comment en venir là sinon, ainsi que le dit le Seigneur, en demandant, en cherchant, en frappant à la porte. c’est-à-dire en priant, en lisant, en gémissant ? C’est pour cela que j’ai fait demander par des frères à votre sincère et vénérable charité, le peu de temps qui nous sépare encore de Pâque, et c’est encore le but des prières que je vous adresse en ce moment.

5. Que répondrai-je au Seigneur mon juge ? Lui dirai-je que sous le poids des affaires ecclésiastiques, il ne m’a pas été possible de chercher ce qui me manquait ? Mais si le Seigneur me répond : « Mauvais serviteur, si un domaine de l’Église dont on recueille les fruits avec tant de soin avait à souffrir quelque atteinte, est-ce que, par le consentement de tous ou les ordres de quelques-uns, vous ne laisseriez pas là le champ que j’ai arrosé de mon sang pour aller demander justice aux juges de la terre ? et si on jugeait contre vous, ne passeriez-vous pas les mers ? Nul ne vous reprocherait un an d’absence et même plus pour empêcher qu’un autre ne possédât ce domaine nécessaire non point à l’âme, mais au corps des pauvres : et leur faim pourtant serait bien plus facilement apaisée et d’une manière plus agréable pour moi par les fruits de mes arbres vivants si on les cultivait avec soin. Pourquoi donc vouloir vous justifier de ne pas avoir appris à cultiver mon champ en « prenant pour prétexte le manque de loisir? »

Dites-moi, je vous prie, ce que j’aurai à répondre. Voulez-vous que je dise à Dieu : « Le vieillard Valère, me croyant versé dans toutes ces choses, m’a d’autant moins