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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/550

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LETTRES DE SAINT AUGUSTIN. — PREMIÈRE SÉRIE.

ordonné : lui partant, cette lettre était inutile. Je m’entretiens avec vous plus abondamment peut-être que si j’étais en votre présence, quand vous lisez ma lettre et quand vous entendez Celui dans le cœur de qui vous savez bien que j’habite. J’ai reçu et médité avec grande joie celle de votre Sainteté ; j’y ai trouvé un esprit chrétien sans le fard de nos temps mauvais et un cœur qui m’est attaché.

2. Je rends grâces à Dieu et à Notre-Seigneur de votre espérance, de votre foi et de votre charité qui vous portent à avoir si bonne opinion de moi que vous me croyez un fidèle serviteur de Dieu ; je me réjouis que vous aimiez dans la pureté de votre cœur la piété que vous me supposez : je vous dois plus de félicitations que de remerciements ; car il vous est profitable d’aimer le bien, ce bien qu’on aime lorsqu’on aime quelqu’un que l’on croit bon, à tort ou à raison. Il faut seulement prendre garde de juger, non pas d’un homme, mais de ce qui constitue le bien même de l’homme, autrement que la vérité ne le demande. Pour vous, frère très-cher, qui rie vous trompez pas en croyant que c’est un grand bien de servir Dieu de bon, cœur et chastement, quand vous aimez un homme par la seule raison qu’il vous semble avoir part à ce bien, le fruit de cette affection vous reste, lors même que celui qui en est l’objet ne serait pas ce que vous pensez. Voilà pourquoi c’est vous qu’il faut féliciter de ce goût pour le vrai bien ; et quant à celui que vous aimez, il n’a droit aux hommages que s’il est tel que vous l’aimez. Il appartient à Dieu seul de voir comme je suis et en quoi j’ai avancé ; il ne peut se tromper ni sur ce qui fait le bien de l’homme ni sur l’homme même. Pour obtenir l’heureuse récompense promise, c’est assez que vous m’aimiez de tout votre cœur, uniquement parce que vous me croyez tel que doit être un serviteur de Dieu. Je vous rends d’abondantes actions de grâces de ce que vos louanges, comme si j’étais tel, sont une admirable exhortation pour que je le devienne ; je vous en rendrai plus encore si vous n’oubliez pas de prier pour moi comme vous me recommandez de prier pour vous. La prière pour un frère est plus agréable à Dieu quand il s’y mêle un sacrifice de charité.

3. Je salue beaucoup votre petit enfant, et je souhaite qu’il grandisse dans les commandements salutaires du Seigneur. Je désire aussi et je demande pour votre maison une seule foi et une vraie piété, qui ne peuvent être que la foi et la piété catholiques. Et si vous croyez nécessaire le concours de mes soins pour une telle œuvre, ne craignez pas de vous servir de moi : notre Maître commun et la charité elle-même vous en donnent le droit. Ce que je recommanderai beaucoup à votre sagesse, c’est d’inspirer ou d’entretenir au cœur de votre femme la vraie crainte de Dieu par la lecture des livres divins et par de graves entretiens. Il n’est personne qui, inquiet sur son âme, résolu à chercher sans entêtement la volonté de Dieu, ne reconnaisse avec un bon guide la différence qu’il y a entre tout schisme, quel qu’il puisse être, et l’Église catholique. 

LETTRE XXI.


(Année 391.)

 
Voici une admirable lettre bien digne de rester toujours présente à la pensée de ceux qui se destinent au sacerdoce ; saint Augustin, ordonné prêtre malgré ses résistances, supplie le vieil évêque d’Hippone de lui accorder un certain temps pour se préparer au saint ministère et ne parle qu’avec effroi de la charge imposée à sa faiblesse.

LE PRÊTRE AUGUSTIN À SON BIENHEUREUX ET VÉNÉRABLE SEIGNEUR, A SON PÈRE BIEN-AIMÉ ET TRÈS-CHER EN DIEU, L’ÉVÊQUE VALÈRE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Avant tout, je demande à votre pieuse sagesse de penser que dans cette vie et surtout en ce temps, rien n’est plus facile, plus agréable et plus recherché que les fonctions d’évêque, de prêtre ou de diacre, si on veut les remplir avec négligence ou en vil complaisant ; mais devant Dieu rien n’est plus malheureux, plus triste, plus condamnable ; et aussi, il n’y a rien dans cette vie et surtout en ce temps, de plus difficile, de plus pénible, de plus dangereux que ces fonctions d’évêque, de prêtre ou de diacre, et rien de plus heureux devant Dieu, si on fait son service comme notre chef l’ordonne. Je n’ai point appris dès mon enfance ni dès ma jeunesse quelle est cette meilleure manière de servir ; et au temps même où je commençais à l’apprendre, on m’a fait violence (sans doute pour mes péchés, car je n’en vois pas d’autre cause), pour me donner la seconde place du gouvernail, à moi qui ne savais pas même tenir un aviron.

2. Je pense que le Seigneur a voulu par là