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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/77

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chapitre onzième.

pétrit à l’image du maître que nous écoutons. Quant à l’apparente contradiction entre les préceptes évangéliques de résignation et de pardon et les prescriptions judaïques : œil pour œil, dent pour dent, Augustin fait observer que Jésus-Christ ne blâmait pas la loi du talion, mais seulement la fausse tradition des scribes et des pharisiens qui en permettaient à chacun l’exécution, laquelle devait être réservée aux magistrats : l’Évangile, qui ordonne à tous les hommes le pardon des injures, ne défend pas aux magistrats d’en punir les auteurs. Pour ce qui est du divorce, le Sauveur disait aux Juifs : « C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes. » L’autorisation du divorce chez les Hébreux affranchissait de toute peine temporelle, et voilà tout : le divorce en lui-même n’en restait pas moins un mal. L’usure était permise aux enfants d’Israël dans leurs rapports avec les étrangers, pour que les Juifs cupides ne dépouillassent pas leurs frères : la législation mosaïque tolérait de moindres maux en vue d’épargner des maux plus grands. Ce qui, aux yeux des manichéens, impliquait contradiction avec l’Évangile n’était qu’imperfection.

Le livre contre Adimante fut bientôt suivi des deux livres du Sermon sur la montagne. C’est un commentaire de ce discours du Sauveur où l’on entend le ciel lui-même révéler à la terre une morale d’une pureté, d’une perfection jusque-là inconnues.

Le concile général de toute l’Afrique, qui s’ouvrit à Hippone dans la basilique de la Paix, le 8 octobre 393, sous la présidence d’Aurèle, évêque de Carthage, fut pour Augustin une occasion solennelle de plaider la cause catholique. Tous les primats des diverses provinces africaines étaient présents. Ainsi que nous l’avons déjà remarqué, nul prêtre en Afrique, avant Augustin, n’avait eu le droit de prêcher devant un évêque. Dans ce concile d’Hippone, Augustin reçut l’ordre glorieux de prononcer un discours sur la foi et le symbole ; ce discours devint plus tard un livre que nous avons encore[1]. C’est une belle explication de tous les articles du symbole ; à mesure que l’orateur catholique traite des points sur lesquels les manichéens ont erré, il signale leurs doctrines et fait voir tout leur néant, car il ne fallait laisser au manichéisme ni paix ni trêve. L’autorité d’Augustin, simple prêtre, fut grande dans cette assemblée d’évêques : l’Église d’Afrique put apprendre dès ce moment quel puissant secours la Providence venait d’envoyer à la vérité chrétienne, poursuivie, méconnue ou mutilée de tant de façons. Le, temps nous a conservé peu de choses des actes du concile d’Hippone ; par une des décisions de ce concile, l’évêque de Carthage devait chaque année annoncer aux primats des diverses provinces d’Afrique le jour de la célébration de la Pâque. On fut amené à prendre cette décision par l’erreur de l’Église de Stèfe, dans la partie la plus orientale de la Mauritanie, qui avait célébré la solennité pascale hors de son jour. Le décret du concile d’Hippone devait établir plus d’unité dans le culte catholique. La vénérable assemblée décida aussi qu’on tiendrait tous les ans un concile d’Afrique, tantôt à Carthage, tantôt ailleurs. Des règlements importants pour la discipline sortirent du concile d’Hippone. L’abus des festins autour des tombeaux des martyrs et pour le soulagement des morts, abus signalé par Augustin à la piété vigilante de l’évêque de Carthage, ne fut pas oublié sans doute[2].

À cette époque, Augustin n’avait pas encore approfondi les matières de la grâce et de la prédestination. Le livre intitulé : Questions sur l’épître aux Romains, composé en 394, renfermait une inexactitude que le saint auteur a marquée dans la Revue de ses ouvrages ; il pensait alors que la foi venait de nous-mêmes, et qu’elle n’était pas un don de Dieu, ce qui constituait une erreur désignée plus tard sous le nom de semi-pélagianisme. Le Commentaire de l’Épître aux Galates, qui suivit de près le Commentaire de l’Épître aux Romains, renfermait une phrase dont le jansénisme s’est armé pour appuyer le système des deux délectations : « Il est nécessaire, disait Augustin, que nous opérions selon ce qui nous plaît davantage[3]. » Mais les jansénistes ont prêté à saint Augustin une pensée qu’il n’eut jamais. Trois ans avant les deux Commentaires dont ils se sont tant réjouis, saint Augustin, dans le livre Des deux Âmes, avait dit tout le contraire de ce que lui ont fait dire les jansénistes. Au sujet des deux âmes des manichéens, l’une bonne, l’autre mauvaise,

  1. De Fide et Symbolo.
  2. Tillemont a donné une analyse de vingt-sept canons du concile d’Hippone. (Mém. ecclés., tome xiii.)
  3. Quod amplius nos delectat, secundum id operemur necesse est.