Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
69
chapitre douzième.

deurs, se plaisent à s’envelopper de leurs ténèbres ! en tournant le dos au soleil, il ne leur reste plus que des ombres dans les joies brutales vers lesquelles ils se précipitent, et le plaisir même qu’ils rencontrent ne vient que de l’éclat de votre lumière, dont ces ombres sont environnées ! —

Il y a un modèle éternel et immuable par lequel subsistent toutes les formes données aux créatures, quelles qu’elles soient. La beauté des corps, c’est l’impression de la beauté souveraine répandue sur tous les êtres. Il n’est pas de manière plus magnifique de prouver l’existence de Dieu.

Un mot sur l’origine du mal.

La volonté libre est un bien, puisque sans elle aucune action louable ne peut s’accomplir. Or, Dieu seul est le principe de tout bien ; donc la volonté libre nous a été donnée par Dieu lui-même.

Augustin distingue les grands biens, qui sont les vertus ; les biens moyens, qui sont les puissances de l’âme, sans lesquelles on ne saurait bien vivre ; les petits biens, qui sont la force et la beauté des corps. La volonté est un bien moyen qui sert à obtenir les plus grands biens ; le mal, c’est le mouvement déréglé de cette volonté, qui se sépare du bien immuable et s’attache au bien passager. On demandera d’où vient ce mouvement qui se sépare du bien immuable ; Dieu ne peut pas en être l’auteur assurément. Ce mouvement est une défaillance ; or toute défaillance vient du néant. Ce mouvement est volontaire ; il est en notre pouvoir ; il n’existera pas, si nous ne le voulons pas ; l’homme demeure donc dans son indépendance.

Passons à la prescience de Dieu.

Nous disons qu’elle ne nous empêche pas de pécher par une volonté libre.

L’homme ne pèche point, parce que Dieu l’a prévu ; mais Dieu voit le péché à l’avance, parce que l’homme l’a commis. Dieu, connaissant toutes les choses futures, ne peut pas ignorer les actions que doivent commettre ses créatures. Dieu voit par sa prescience ce que je fais par ma volonté,

Si j’étais prophète, les choses futures n’arriveraient pas de telle manière, parce que je les aurais prédites ; mais je les prédirais de telle manière parce que c’est ainsi qu’elles s’accompliraient. La connaissance de l’avenir n’est pas l’asservissement de l’avenir. De même que, par mon souvenir, je ne suis pas cause tee le passé soit arrivé, de même Dieu, par sa prescience, ne condamne pas l’avenir à un accomplissement nécessaire. Dans l’ordre des choses humaines, Dieu n’est pas l’auteur de ce qu’il prévoit.

Il ne faut pas dire que l’homme eût été mieux fait s’il n’avait pas pu se souiller de péchés c’est comme si, en regardant le ciel, vous ne vouliez pas qu’on eût créé la terre. La terre n’a-t-elle pas aussi sa magnificence ? Il y a, dit Augustin, dans la misère qui suit le péché, quelque chose qui contribue à la perfection du monde, car cette misère tient à l’ordre éternel. Lorsque les hommes purs sont heureux, l’univers est dans toute sa beauté ; lorsque ceux qui pèchent sont misérables, l’univers ne laisse pas aussi d’être beau. La perfection et la beauté de l’univers subsistent toujours dans la double condition de la joie du juste et de la misère du pécheur. Ils mentent ceux qui disent qu’ils auraient mieux aimé ne pas être que d’être malheureux, car tout malheureux qu’ils sont, ils n’en continuent pas moins leur vie et n’ont garde de se tuer. C’est que l’être est un grand bien. Parmi ceux qui se donnent la mort, il en est certainement bien peu qui croient sortir tout à fait de l’existence ; la plupart cherchent le repos, cherchent autre chose que leur misère, mais ne pensent pas à entrer dans le néant. Augustin relève en toute rencontre la nature humaine ; c’est ainsi qu’il nous montre l’âme, même dans le péché, mille fois plus excellente encore que les meilleures et les plus belles choses de l’univers, parce qu’elle peut encore connaître et adorer Dieu ; c’est ainsi qu’il trouve dans la condamnation du vice une preuve de la dignité de notre nature.

Le tort que nous avons de juger les choses humaines au point de vue de notre heure fugitive, a souvent inspiré à Augustin des considérations frappantes : nous en avons remis ailleurs quelques-unes en lumière. Le saint docteur revient sur ce point à la fin du Traité du libre arbitre. Ce qui est renfermé dans le temps, dit-il, se trouvant placé en un certain ordre, le futur ne paraît succéder au passé que par la défaillance et le dépérissement des choses, afin que toute la beauté des temps, dont la nature est de s’écouler comme un fleuve, arrive à sa dernière perfection. Nous tombons dans un excès d’ignorance, quand nous nous plaignons de la fin des choses : elles n’ont d’action et de