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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/82

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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

durée qu’autant qu’elles en ont reçu de celui à qui elles doivent tout et à qui elles rendent tout. Que celui qui s’afflige de voir les créatures s’évanouir fasse attention au discours même par lequel il exprime son affliction : si quelqu’un, uniquement occupé du sens de ses paroles, se délectait à chaque syllabe au point de ne pas vouloir la succession des autres syllabes dont l’ensemble forme la liaison et le corps du discours, ne passerait-il pas pour un insensé ?

Les trois livres du Traité dont nous venons d’exprimer la substance, ont inspiré le Traité du libre arbitre, de Bossuet. Quelques mots sur ce travail serviront à la fois à mettre plus vivement en lumière les idées de l’évêque d’Hippone et à faire connaître ce qui est propre à l’évêque de Meaux. Bossuet, reproduisant les doctrines d’Augustin, établit la liberté dans l’homme par l’évidence du sentiment et de l’expérience, par l’évidence du raisonnement, par l’évidence de la révélation, c’est-à-dire parce que Dieu nous l’a clairement révélée dans son Ecriture. Cette première vérité n’est pas contestable. « Nous trouvons en même temps, dit Bossuet, que le premier Libre c’est Dieu, parce qu’il possède en lui-même tout son bien ; et n’ayant besoin d’aucun des êtres qu’il fait, il n’est porté à les faire, ni à faire qu’ils soient de telle façon, que par la seule volonté indépendante. Et nous trouvons en second lieu que nous sommes libres aussi parce que les objets qui nous sont proposés ne nous emportent pas tout seuls par eux-mêmes, et que nous demeurerions à leur égard sans action, si nous ne pouvions choisir. Nous trouvons encore que ce premier Libre ne peut jamais ni aimer ni faire autre chose que ce qui est un bien véritable, puisqu’il est lui-même par son essence le bien essentiel, qui influe le bien dans tout ce qu’il fait. Et nous trouvons au contraire que tous les êtres libres qu’il fait, pouvant n’être pas, sont capables de faillir ; parce que, étant sortis du néant, ils peuvent aussi s’éloigner de la perfection de leur être. De sorte que toute existence sortie des mains de Dieu peut faire bien et mal, jusqu’à ce due Dieu l’ayant menée, par la claire vision de son essence, à la source même du bien, elle soit si bien possédée d’un tel objet, qu’elle ne puisse plus désormais s’en éloigner. »

L’évêque de Meaux établit ensuite une seconde vérité, c’est que « Dieu gouverne notre « liberté et ordonne nos actions. » Il ne serait pas digne de Dieu de laisser aller au hasard une créature libre, sauf à la récompenser ou à la châtier après. Tous les êtres et tous les événements du monde sont compris dans l’ordre de la divine Providence : lui ôterait-on la conduite de ce qu’il y a de plus excellent dans l’univers, les créatures intelligentes ? Dieu étant la cause universelle de tout ce qui est, il faut que l’usage de la liberté humaine, avec tous les effets qui en dépendent, soit compris dans l’ordre de sa Providence ; autrement il y aurait un certain ordre dont Dieu ne serait point première cause, et un certain point où la créature ne serait plus dépendante de Dieu. Comment aurait-il pu vouloir cette indépendance de la liberté humaine ? N’est-il pas de la nature d’une souveraineté aussi absolue que celle de Dieu de ne se laisser soustraire nulle partie de ce qui est ? Les façons ou modes d’être, comme les choses même, doivent venir nécessairement du premier être. En créant la liberté humaine, il s’est réservé des moyens certains de la conduire où il lui plaît. De là découle sa prescience éternelle, car on ne peut douter qu’il ne connaisse et ce qu’il veut dès l’éternité et ce qu’il doit faire dans le temps. Novit procul dubio quae fuerat ipse facturus, dit saint Augustin. « Mais si on suppose, au contraire, ajoute Bossuet, que Dieu attend simplement quel sera l’événement des choses humaines, sans s’en mêler, on ne sait plus où il le peut voir dès l’éternité, puisqu’elles ne sont encore ni en elles-mêmes, ni dans la volonté des hommes, et encore moins dans la volonté divine, dans les décrets de laquelle on ne veut pas qu’elles soient comprises. Et pour démontrer cette vérité par un principe plus essentiel à la nature divine, je dis qu’étant impossible que Dieu emprunte rien du dehors, il ne peut avoir besoin que de lui-même pour connaître tout ce qu’il connaît. D’où il s’ensuit qu’il faut qu’il voie tout, ou dans son essence ou dans ses décrets éternels ; et en un mot qu’il ne peut connaître que ce qu’il est ou ce qu’il opère par quelque moyen que ce soit. Que si on supposait dans le monde quelque substance, ou quelque qualité, ou quelque action dont Dieu ne fût pas l’auteur, elle ne serait en aucune sorte l’objet de sa connaissance, et non-seulement il ne pourrait point la prévoir, mais il ne pourrait pas la