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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/83

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chapitre douzième.

voir quand elle serait réellement existante. « Car le rapport de cause à effet étant le fondement essentiel de toute la communication qu’on peut concevoir entre Dieu et la créature, tout ce qu’on supposera que Dieu ne fait pas demeurera éternellement sans aucune correspondance avec lui et n’en sera connu en aucune sorte, etc., etc. »

Tout cela est admirable ; on ne saurait dire avec plus de force et de profondeur. Mais une objection se présente tout d’abord pour combattre le principe que Dieu ne connaît que ce qu’il opère, c’est que le mal lui serait alors inconnu. Bossuet répond par la belle idée de saint Augustin, que le mal n’est pas un être, mais une défaillance, un défaut, qu’il n’a point par conséquent de cause efficiente et ne peut venir que d’une cause qui, étant tirée du néant, soit par là sujette à faillir. Le sentiment du gouvernement de l’homme par Dieu lui-même est aussi profondément gravé dans l’âme que le sentiment de notre liberté.

Voilà deux grandes vérités dont rien ne saurait nous faire douter. Deux choses établies sur des raisons si nécessaires ne peuvent se détruire l’une l’autre, car la vérité ne détruit point la vérité. Maintenant faudrait-il nous étonner que nous ne pussions pas concilier parfaitement la liberté humaine et la Providence ? « Cela viendrait, dit Bossuet, de ce que nous ne saurions pas le mystère par lequel Dieu voudrait notre liberté : chose qui le regarde, et non pas nous, et dont il a pu se réserver le secret sans nous faire tort. » Toute cette partie sur ces deux vérités indubitables et sur la place que leur connaissance tient dans le monde moral est pleine de génie. Bossuet nous force de raisonner comme lui, sous peine de nous servir de notre raison pour tout confondre. Puis il examine les diverses opinions théologiques par lesquelles on a essayé d’accorder notre liberté avec les décrets de Dieu. Le sentiment des thomistes lui paraît le plus simple, parce qu’il est tiré des principes essentiels qui constituent la créature, et ne suppose autre chose que les notions précises que nous tenons de Dieu et de nous-mêmes. D’après cette opinion, l’action humaine est libre à priori, parce que Dieu l’a faite libre. Dieu a voulu que cela fût. Il veut dès l’éternité tout l’exercice futur de la liberté humaine, en tout ce qu’il a de bon et de réel. Notre propre détermination est dans le décret divin. Des théologiens soutenaient que la volonté humaine, depuis la chute, est plus dépendante de Dieu qu’avant la faute du premier homme. Bossuet les combat et démontre que notre dépendance à l’égard de Dieu n’est pas une suite de la chute primitive, mais qu’elle appartient à la première institution de l’homme et à la condition essentielle de son être. Dieu n’agit pas plus dans la nature corrompue que dans la nature innocente. La blessure du péché originel a changé la disposition de l’âme humaine ; elle y a mis un attrait indélibéré du plaisir sensible qui prévient tous les actes de nos volontés. En cela consistent notre langueur et notre faiblesse. Nous en sommes guéris quand Dieu remplace ou modère cet attrait par un autre attrait indélibéré du plaisir intellectuel, qui nous rappelle à notre véritable bien. Nous avons besoin de plus de secours que dans l’état d’innocence mais, avant la rébellion primitive, la volonté n’était pas absolument laissée à elle-même. S’il n’y avait pas eu de chute, c’est à Dieu qu’on aurait dû la conservation de la santé, comme, après la chute, c’est à Dieu que nous devons notre guérison.

Les théologiens réfutés ici par l’évêque de Meaux, prétendaient se couvrir de l’autorité de saint Augustin ; l’évêque d’Hippone a montré tout le ravage qu’a fait dans notre nature le péché originel ; il a établi que ce péché a rompu l’équilibre de la liberté humaine au profit du mal, et ceci n’est peut-être pas assez reconnu par Bossuet dans l’écrit qui nous occupe, mais saint Augustin n’a jamais enseigné que, dans l’état d’innocence, la volonté humaine se trouvât absolument livrée à elle-même et tout à fait indépendante de l’action divine.

Cette courte analyse du Traité du libre arbitre de Bossuet avait donc sa place marquée dans ce chapitre. Il y a toujours grand profit à écouter un tel homme, surtout eu d’aussi difficiles matières. Nous aimons à ramener la pensée de nos lecteurs sur ces questions capitales et à leur en montrer la solution lumineuse, parce qu’elles soulèvent constamment devant l’œil de l’esprit des tourbillons de poussière qui lui dérobent la vérité. Nous voudrions faire tomber toutes les barrières imaginaires qui s’élèvent entre l’homme et le Dieu des chrétiens. Nous voudrions exciter au fond de l’âme humaine une brûlante énergie pour se, rapprocher de ce qui est grand et beau par essence. De même que, par notre intelligence, nous