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chapitre quinzième.

cœur de celui qui ne sait pas s’abaisser. « Comment Jésus-Christ, s’écrie Augustin, se serait-il préparé à se sacrifier pour les hommes, s’il lui avait paru trop pénible de s’incliner à leurs oreilles ? Voilà pourquoi il se fit petit au milieu de nous, comme une mère au milieu de ses enfants. Comment, sans amour, pourrait-on trouver quelque charme à murmurer des demi-mots ? Et cependant les hommes désirent être pères pour avoir de ces soins et de ces complaisances. Il est plus doux pour une mère de présenter à son enfant une nourriture toute délayée, que de manger elle-même de solides aliments. Il faut se ressouvenir aussi de la poule, qui réchauffe ses petits sous ses plumes, et brise sa voix pour les appeler autour d’elle. »

Si la répétition des choses les plus simples nous fatigue, soumettons-nous y par un amour de frère, de père et même de mère. Une affection compatissante et vraie confond les cœurs en un seul, et ceux qui écoutent croient parler, et celui qui parle croit apprendre ce qu’il enseigne. Il est des monuments superbes, des cités magnifiques, des paysages charmants qui ne nous touchent plus, par l’habitude où nous sommes de les voir ; mais s’il nous arrive de les montrer à des amis qui ne les connaissent pas, notre plaisir se renouvelle dans le plaisir qu’ils éprouvent, et nous jouissons plus ou moins, selon le degré d’affection qui nous lie à ces amis. N’est-il pas beaucoup plus doux d’apprendre à connaître Dieu à ceux qui l’ignorent ? et notre esprit ne doit-il pas se sentir plus profondément renouvelé par la contemplation de ces divines choses toujours nouvelles ?

L’évêque d’Hippone conseille de faire asseoir l’auditeur, pour ne pas trop le fatiguer en le tenant longtemps debout ; il observe que cela se passe ainsi dans quelques villes d’au delà des mers, c’est-à-dire en Italie et dans les Gaules. La coutume contraire suivie en Afrique nous explique la brièveté de la plupart des sermons de saint Augustin. « Ne soyons pas aussi exigeants, dit l’évêque, lorsque nous instruisons nos frères ou ceux que nous voulons rendre nos frères. Pourquoi ne les ferions-nous pas asseoir devant nous ? La pauvre femme de l’Évangile, Marie, sœur de Lazare, n’était-elle pas assise, en écoutant Notre-Seigneur, devant lequel les anges se tiennent debout ? Du reste, ne soyons pas longs, annonçons d’avance que nous serons courts, et tenons notre promesse. »

On se plaint parfois de quitter, pour catéchiser, quelque chose que l’on croit plus important. Nous sommes bien incertains sur le plus ou moins d’utilité de nos œuvres. Nous ne connaissons pas assez les desseins de Dieu. « Combien de pensées passent par le cœur de l’homme ! dit le Sage ; mais les desseins de Dieu vont toujours s’accomplissant. »

Augustin nous initie dans la diversité de ses impressions lorsqu’il parle devant les multitudes ; l’allure de son discours, sa forme et ses idées, sa manière de commencer et de finir, varient selon le caractère, l’éducation, l’état, la patrie, l’âge, le sexe, les besoins religieux de ceux qui l’écoutent. Il fallait assurément une merveilleuse facilité de parole pour satisfaire ainsi à tant de besoins différents.

Le livre Sur la manière de catéchiser les ignorants est un des écrits où se révèle avec plus d’énergie et d’étendue l’amour d’Augustin pour la pauvre humanité. C’est l’inspiration évangélique dans ce qu’elle a de plus touchant. Notre siècle, qui estime si fort le dévouement à l’humanité, ne saurait rester froid devant cette admirable manière de s’abaisser jusqu’aux dernières misères de l’ignorance.

Lorsque des communautés religieuses commencèrent à s’établir à Carthage, les unes vécurent du travail, les autres ne voulurent vivre que des offrandes des fidèles, pensant accomplir ainsi les préceptes évangéliques

Voyez les oiseaux du ciel ; ils ne sèment point ni ne moissonnent, et n’amassent pas dans les greniers, et votre Père céleste les nourrit n’êtes-vous pas beaucoup plus qu’eux ?… « Considérez comment croissent les lis des champs ; ils ne travaillent ni ne filent : or, je vous dis que Salomon dans toute sa gloire n’était pas vêtu comme l’un d’eux… Ne vous inquiétez donc point, disant : Que mangerons-nous, ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous ? » Là-dessus, des disputes avaient éclaté parmi les clercs, et l’Église en était troublée. L’évêque Aurèle, de Carthage, pressa Augustin de mettre fin à ces querelles par l’intervention de sa puissante parole ; dans un livre intitulé Du travail des moines ; l’évêque d’Hippone montra le travail comme étant la loi de tous et aussi comme étant la loi des monastères ; il cita l’exemple de saint Paul, qui tirait de son industrie son pain de chaque