Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/182

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inventions vaines et l’erreur superbe de ces malheureux qui n’ont pas connu, même dans ce qu’ils ont dit de vrai, la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, la grâce à laquelle seule nous devons d’être délivrés du corps de cette mort[1]. Quant à l’histoire dont les auteurs font une haute profession de sincérité dans leurs récits, peut-être renferme-t-elle quelque chose qui mérite d’être connu des âmes libres, quand, bonnes ou mauvaises, les actions qu’elle rapporte sont vraies. Cependant, je ne vois pas trop comment, ne recevant point le secours de l’Esprit-Saint et obligés dans leur condition de faiblesse à recueillir les rumeurs répandues, ils ne se seraient pas trompés en bien des points : il y a toutefois en eux quelque chose qui approche de la liberté s’ils n’ont pas eu la volonté de mentir, et s’ils ne trompent les hommes que parce qu’ils auront été eux-mêmes trompés par la faiblesse humaine.

3. Les sons aident le plus à comprendre la valeur des nombres dans tous les mouvements des choses ; on monte ainsi, comme par degrés, jusqu’aux plus hauts secrets de la vérité, à ces hauteurs où la divine sagesse se découvre agréablement dans l’ordre entier de sa providence à ceux qui l’aiment[2] : c’est ce que nous avons essayé de traiter, aux premiers loisirs que nous laissaient des soins plus importants et plus urgents, dans ces écrits que vous désirez recevoir de nous ; j’ai composé alors six livres seulement sur le rythme, et, je l’avoue, je songeais à en composer six autres sur la modulation, quand j’espérais du loisir. Mais depuis que j’ai été chargé du poids des affaires ecclésiastiques, toutes ces douces choses me sont échappées des mains, de sorte qu’à peine trouvé je maintenant ce que j’ai écrit, ne pouvant me refuser à votre désir qui est pour moi un ordre. Si je puis vous envoyer ce petit ouvrage, je ne me repentirai pas de vous avoir obéi, mais vous pourriez bien vous repentir de me l’avoir demandé si ardemment. Car il est très-difficile d’entendre les cinq premiers livres sans quelqu’un qui, non-seulement distingue les personnes des interlocuteurs, mais qui, par 1a prononciation, fasse sentir la durée des syllabes, de façon à frapper l’oreille de la diversité des nombres : d’autant plus qu’il s’y mêle des intervalles de silences mesurés qui ne sauraient être compris sans le secours d’une habile prononciation.

4. Ayant trouvé corrigé le sixième livre où est ramassé tout le fruit des autres, je l’envoie sans retard à votre charité ; peut-être ne déplaira-t-il pas trop à votre gravité. Pour ce qui est des cinq premiers, c’est à peine si Julien[3], notre fils et collègue dans le diaconat, car il est déjà enrôlé dans nôtre sainte milice, les jugera dignes d’être lus et compris. Je n’ose pas dire que je l’aime plus que vous, pal ce que je veux rester vrai, mais cependant j’ose dire que je désire le voir plus que je ne désire vous voir vous-même. Il peut vous sembler étrange que vous aimant autant l’un que l’autre, il y en ait un qui soit l’objet particulier de mes désirs ;.mais ce qui produit ce sentiment c’est une plus grande espérance de voir Julien, car, je le crois, si vous lui commandez ou lui permettez de venir vers nous, il fera ce qu’on fait à son âge, surtout quand on n’est pas encore retenu par des soins plus importants ; et par lui je vous aurai vous-même sans plus de retard. Je n’ai pas indiqué les mesures des vers de David, parce que je les ignore. Je ne sais pas l’hébreu, et le traducteur n’a pu faire passer les mesures dans sa version, de peur de nuire à l’exactitude du sens. Au reste les vers hébreux ont des mesures certaines, si j’en crois ceux qui entendent bien cette langue ; car le saint prophète aimait la pieuse musique, et c’est luit, plus que tout autre, qui m’a inspiré un goût si vif pour ces sortes d’études. Demeurez à jamais sous la protection du Très-Haut[4], vous tous qui habitez dans la même maison[5], père, mère, frères et fils, et, tous enfants d’un même père ! souvenez-vous de nous !

LETTRE CII[6].


(Au commencement de l’année 409.)

Dans l’histoire des premiers âges du christianisme, il n’est rien de plus curieux que les objections sur lesquelles les païens fondaient leur résistance à notre religion ; les difficultés qui les arrêtaient ressemblent aux difficultés dont beaucoup de gens ont coutume de s’armer dans nos âges nouveaux : les hommes du IVe et du Ve siècles qui n’étaient pas encore chrétiens et ceux de notre temps qui ne le sont plus se rapprochent en bien des points. La plupart des objections et même les plaisanteries du dix-huitième siècle contre la foi chrétienne, sont renouvelées des païens. Il est donc intéressant de savoir comment saint Augustin y répondait. L’évêque d’Hippone avait en vue un de ses amis de Carthage dont il désirait éclairer l’esprit et vaincre les hésitations ; sa réponse aux six questions posées ne fut pas inutile aux païens de son temps et ne saurait l’être aux chrétiens du nôtre.
  1. Rom. VII, 24, 25.
  2. Sages. VI, 17.
  3. Ce jeune Julien, dont saint Augustin prononce affectueusement le nom, devait plus tard prendre rang parmi les plue ardente ennemis de l’Église catholique et de l’évêque d’Hippone.
  4. Ps. XC, 1.
  5. Ps. LXVII, 7.
  6. Voyez rétract. liv. 11, chap. XXXI, tom. I, pag. 351.