Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/184

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répondons ici sont incapables de voir ce qui fait la différence et où la différence doit s’arrêter ; ils veulent conclure de la diversité des origines à toutes sortes de diversités, et croiraient sans doute que l’huile de suif ne doit pas nager sur l’eau comme l’huile d’olive, à cause de la différence de l’origine, la première provenant des animaux, la seconde d’un fruit.

5. En ce qui touche cette autre différence entre le corps du Christ, ressuscité le troisième jour sans corruption ni pourriture, et nos corps qui seront tirés, après un long espace de temps, du mélange universel, ces deux sortes de résurrection demeurent également au-dessus de la puissance humaine, mais sont également très-faciles à la puissance divine. De même que le rayon de notre œil arrive aussi promptement à ce qui est proche qu’à ce qui est éloigné et atteint les diverses distances avec la même vitesse ; ainsi lorsque dans un clin d’œil, selon la parole de l’Apôtre[1], aura lieu la résurrection des morts, il sera aussi aisé à la toute-puissance de Dieu et à sa volonté ineffable, de ressusciter des corps intacts que des corps détruits par le temps. Ces choses paraissent incroyables à certaines gens parce que rien de pareil ne s’est vu ; l’univers est si rempli de miracles qu’ils ne nous étonnent point, non pas par la facilité de s’en rendre compte, mais par l’habitude de les voir ; et à cause de cela ils ne nous paraissent dignes ni d’attention ni d’étude. Quant à moi, et avec moi quiconque s’efforce de comprendre les invisibles merveilles de Dieu par les merveilles visiblesRom. I, 20.</ref>, nous admirons autant, peut-être plus, le petit grain de semence où est caché tout ce qu’il y a de beau dans un arbre entier, que le vaste sein de ce monde qui doit restituer intégralement à la résurrection future tout ce qu’il prend des corps humains dans leur dissolution.

6. Quelle contradiction peut-il y avoir entre la nourriture que prit le Christ après sa résurrection et la promesse de notre résurrection dans un état où nous n’aurons plus besoin de nourrir nos corps ? Ne voyons-nous pas dans les livres saints les anges manger de la même manière, non sous une vaine et trompeuse apparence, mais en toute réalité ? Ce n’était point par nécessité, mais par puissance. La terre, dans sa soif, boit autrement que le rayon du soleil, dans son ardeur ; pour la terre c’est un besoin, pour le soleil une force. Le corps ressuscité sera donc imparfaitement heureux s’il ne peut pas prendre de la nourriture ; et quelque chose manquera aussi à sa félicité s’il en a besoin. Je pourrais examiner longuement ici ce qu’il y a de changeant dans les qualités des corps et le prédominant des corps supérieurs sur les inférieurs ; mais on m’a demandé de répondre brièvement, et j’écris ceci pour des esprits pénétrants qu’il suffit d’avertir.

7. Que celui de qui partent ces questions sache bien que le Christ, après sa résurrection, a montré des cicatrices et non pas des blessures ; il les a montrées à des disciples qui doutaient, et c’est pour eux aussi qu’il a voulu manger et boire, non pas une fois, mais souvent, de peur qu’ils ne crussent pas que son corps était quelque chose de spirituel et son apparition une pure image. Ces cicatrices eussent été fausses si des blessures ne les eussent précédées, et cependant elles-mêmes ne seraient pas restées si le Christ ne l’avait pas voulu. Sa grâce providentielle eut pour but de prouver à ceux qu’il édifiait dans une foi réelle que ce corps ressuscité était bien le même qu’ils avaient vu crucifié. Pourquoi dire alors : « S’il l’a fait à cause d’un incrédule, il a donc fait semblant ? » Mais si un valeureux combattant avait reçu de nombreuses blessures au service de sa patrie et qu’il priât un habile médecin, capable d’en effacer jusqu’aux derniers vestiges, de s’arranger plutôt pour laisser subsister des cicatrices comme autant de titres de gloire, dirait-on que le médecin aurait fait à l’héroïque blessé de fausses cicatrices, parce que, pouvant empêcher par son art qu’il ne restât des traces de plaies, il se serait au contraire appliqué à les maintenir à dessein ? Ainsi que je l’ai fait observer plus haut, les cicatrices ne peuvent être fausses que s’il n’y a pas eu de blessures. SECONDE QUESTION. De l’époque de l’avènement du christianisme.

8. Nos contradicteurs ont proposé d’autres difficultés, qu’ils prétendent tirées de Porphyre et qu’ils jugent plus fortes contre les chrétiens : « Si le Christ s’est dit la voie du salut, la grâce et la vérifié, s’il a déclaré qu’il ne pouvait y avoir de retour à la vérité que par la fui en lui[2], qu’ont fait les hommes de tant de

  1. II Cor. VI, 52.
  2. Jean, XIV, 6.