Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

serait abandonné ? Pourrait-il puiser et boire de l’eau d’un puits ou d’une fontaine dans un temple d’idoles si rien n’y avait été jeté ?

XV. Un chrétien peut-il se baigner dans des bains ou des thermes où l’on a sacrifié aux idoles ? Peut-il se baigner dans des bains où les païens se sont purifiés dans leurs jours de fêtes, soit avec eux, soit quand ils n’y sont plus ?

XVI. Peut-il descendre dans la même cuve où il sait que des païens sont descendus en venant de leurs fêtes, et qu’ils ont pratiqué quelques-unes de leurs cérémonies sacrilèges ?

XVII. Supposez un chrétien invité chez quelqu’un, et se trouvant en face d’une viande qu’on lui dit avoir été immolée aux idoles, il n’en mange pas : mais voilà que par aventure cette même viande est portée ailleurs, et elle est à vendre ; le chrétien l’achète ; ou bien encore on la lui présente dans une maison où il est invité, et il en mange, mais salis la reconnaître : dans ces deux cas, pèche-t-il ?

XVIII. Un chrétien peut-il acheter et manger des légumes et des fruits d’un jardin ou d’un champ appartenant aux idoles ou à leurs prêtres ? Pour vous épargner la peine de chercher dans les livres saints ce qui touche au serment et aux idoles, j’ai voulu mettre sous vos yeux ce que j’y ai trouvé avec la grâce de Dieu ; si vous rencontrez dans les Écritures quelque chose de plus clair et de meilleur, daignez me le dire. Voici d’abord ce que Laban dit à Jacob : «. Dieu d’Abraham et dieu de Nachor[1]. » L’Écriture ne nous apprend pas quel est ce dieu de Nacbor. Je trouve encore l’alliance jurée entre Abimélech et Isaac : « Ils se levèrent le matin et se jurèrent une alliance mutuelle[2]Id. XXVI, 31]]</ref>. » L’Écriture ne nous dit pas quel est ce serment. Pour ce qui est des idoles, le Seigneur ordonne à Gédéon, dans le livre des Juges, de lui offrir en holocauste le veau qu’il avait tué[3]. Dans le livre de Jésus, fils de Navé, il est ordonné que l’or, l’argent et l’airain trouvés à Jéricho soient portés intégralement dans les trésors du Seigneur ; ces offrandes sacrées viennent d’une ville frappée d’anathème. Que veut donc dire ce passage du Deutéronome ? « Vous ne porterez rien dans votre maison qui vienne de l’idole, de peur que vous ne deveniez anathème comme l’idole même[4]. » Que le Seigneur vous garde ; je vous salue ; priez pour moi.

LETTRE XLVII.

(Année 398.)

Réponse de saint Augustin aux questions de Publicola.

AUGUSTIN SALUE DANS LE SEIGNEUR SON HONORABLE ET TRÈS-CHER FILS PUBLICOLA.

1. Les troubles de votre esprit, depuis que votre lettre me les a révélés, sont devenus les miens ; ce n’est pas que je sois fortement agité par toutes ces choses, comme vous me marquez que vous l’êtes vous-même ; mais, je l’avoue, je me suis demandé avec inquiétude comment tous vos doutes pourraient cesser ; surtout parce que vous attendez de moi des réponses positives, afin de ne pas tomber dans des anxiétés plus profondes qu’auparavant. Je crois que cela n’est pas en mon pouvoir. De quelque manière que je vous présente ce qui me paraîtra à moi d’une entière certitude, si je ne parviens pas à vous persuader, vos doutes redoubleront. Ce qui peut me persuader peut ne pas persuader un autre. Cependant pour ne pas refuser à votre affection le léger concours de mes soins, je me suis déterminé à vous écrire après y avoir un peu réfléchi.

2. Vous vous demandez si on peut s’appuyer sur la fidélité de quelqu’un qui a juré par les démons de la garder. Considérez d’abord si celui-là ne pécherait pas deux fois qui, ayant juré par de faux dieux de garder fidélité, viendrait à la violer ; en gardant la foi promise par un tel serment, il n’aura péché qu’en cela seul qu’il a juré par de pareils dieux ; nul ne le reprendra d’avoir gardé sa parole. Mais en jurant par les dieux qu’il ne doit pas invoquer et en faisant ce qu’il ne doit pas contre la parole donnée, il a péché deux fois ; et quant à celui qui s’appuie sur la fidélité d’un homme qu’il sait l’avoir jurée par de faux dieux, et qui la met à profit non pour le mal, mais pour ce qui est licite et bon, il ne participe pas au péché du jurement par les démons, mais il participe au bon accord par lequel la foi promise est, gardée. Je ne parle pas ici de la foi qui fait donner le nom de fidèles à ceux qui sont baptisés dans le Christ ; la foi chrétienne est bien différente et bien éloignée de la foi des opinions et des conventions humaines. Pourtant il n’est pas douteux que c’est un moindre mal de jurer avec vérité par un dieu faux que de jurer faussement par le vrai Dieu ; plus la chose par laquelle on jure est sainte, plus le parjure mérite de châtiment. C’est une autre question de savoir si on ne pèche pas en demandant qu’on jure par les faux dieux, quand celui de qui on exige le serment adore les faux dieux. Pour cette question on peut s’aider des témoignages que vous avez rappelés vous-même sur Laban et Abimélech, si toutefois Abimélech jura par ses dieux comme Laban par le dieu de Nachor ; c’est là, comme je l’ai

  1. Gen. XXXI, 53
  2. Juges, VI, 26
  3. Juges, VI, 26
  4. Deut. VII, 26.