Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/64

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vous sachiez, comme point capital de cette dissertation, que Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme il le dit lui-même dans l’Évangile, nous a soumis à un joug doux et à un fardeau léger[1]. Voilà pourquoi la société nouvelle qu’il a fondée a pour lien un petit nombre de sacrements, d’une observation facile, d’une signification admirable, tels que le baptême, consacré par le nom de la Trinité, la communion du corps et du sang de Jésus-Christ, et les autres prescriptions des Écritures canoniques, en exceptant les pesants devoirs imposés au peuple de l’ancienne alliance, appropriés à des cœurs durs et à des temps prophétiques, et contenus dans les cinq livres de Moïse. Quant aux choses non écrites, que nous conservons par tradition, et qui sont pratiquées par toute la terre, on doit comprendre qu’elles nous ont été recommandées et prescrites soit par les apôtres eux-mêmes, soit par les conciles généraux dont l’autorité est si profitable à l’Église : telle est la célébration solennelle et annuelle de la passion du Seigneur, de sa résurrection, de son ascension, de la descente de l’Esprit Saint, et telles sont d’autres observances analogues pratiquées par l’Église universelle partout où elle est répandue.

2. Il y a des choses qui changent selon les lieux et les contrées ; c’est ainsi que les uns jeûnent le samedi, les autres non, les uns communient chaque jour au corps et au sang du Seigneur, les autres à certains jours seulement ; ici nul jour ne se passe sans qu’on offre le saint sacrifice ; là c’est le samedi et le dimanche ; ailleurs c’est le dimanche seulement ; les observances de ce genre vous laissent pleine liberté ; et, pour un chrétien grave et prudent, il n’y a rien de mieux à faire, en pareil cas, que de se conformer à la pratique de l’Église où il se trouve. Ce qui n’est contraire ni à la foi ni aux bonnes mœurs, doit être tenu pour indifférent et observé par égard pour ceux au milieu desquels on vit.

3. Je crois que vous l’avez un jour entendu de ma bouche, mais, cependant, je vous le redirai. Ma mère m’ayant suivi à Milan, y trouva que l’Église n’y jeûnait pas le samedi ; elle se troublait et ne savait pas, ce qu’elle devait faire ; je me souciais alors fort peu de ces choses ; mais, à cause de ma mère, je consultai là-dessus Ambroise, cet homme de très-heureuse mémoire ; il me répondit qu’il ne pouvait rien conseiller de meilleur que ce qu’il pratiquait lui-même, et que s’il savait quelque chose de mieux il l’observerait. Je croyais que, sans nous donner aucune raison, il nous avertissait seulement, de sa seule autorité, de ne pas jeûner le samedi, mais, reprenant la parole, il me dit : « Quand je suis à Rome, je jeûne le samedi ; quand je suis ici, je né jeûne pas ce jour-là. Faites de même ; suivez l’usage de l’Église ou vous vous trouvez, si vous ne voulez pas scandaliser ni être scandalisé. » Lorsque j’eus rapporté à ma mère cette réponse, elle s’y rendit sans difficulté. Depuis ce temps, j’ai souvent repassé cette règle de conduite, et je m’y suis toujours attaché comme si je l’avais reçue d’un oracle du ciel.

Plus d’une fois j’ai pensé en gémissant à tous les troubles que font naître parmi les faibles les controverses opiniâtres ou la timidité superstitieuse de quelques-uns de nos frères dans ces questions, qui ne peuvent se résoudre avec certitude ni par l’autorité de la sainte Écriture, ni par la tradition de l’Église universelle, ni par l’intérêt évident des mœurs, mais où l’on apporte seulement une certaine manière de voir, ou bien la coutume particulière de son pays, ou bien encore un exemple de ce que l’on a vu ailleurs, se croyant d’autant plus savant qu’on a voyagé plus loin : alors commencent des disputes sans fin, et l’on ne trouve bon que ce que l’on pratique soi-même.

4. Quelqu’un dira qu’il ne faut pas recevoir tous les jours l’Eucharistie ; vous lui demanderez pourquoi ; parce que, vous répondra-t-il, on doit choisir les jours où l’on vit avec plus de pureté et de retenue pour se rendre plus digne d’approcher d’un si grand sacrement : « Car, dit l’Apôtre, celui qui mange ce pain indignement, mange et boit sa condamnation[2]. » Un autre, au contraire, dira que si la plaie du péché et la violence de la maladie spirituelle sont telles qu’il faille différer de semblables remèdes, on doit être séparé de l’autel par l’autorité de l’évêque, pour faire pénitence, et réconcilié par cette même autorité ; il ajoutera que c’est recevoir indignement l’Eucharistie que de la recevoir au temps où l’on doit faire pénitence, qu’il ne faut pas se priver où s’approcher de la communion, selon son propre jugement ou lorsque cela, plaît, et qu’à moins de ces grands péchés qui condamnent à en être privé, on ne doit pas renoncer à recevoir chaque jour le corps

  1. Matt. XI, 30
  2. 1 Cor. XI, 29