Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/65

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du Seigneur, précieux remède pour l’âme. Un troisième terminera peut-être avec plus de raison le débat en demandant que surtout chacun demeure dans la paix du Christ et fasse comme il jugera le plus conforme à sa foi ; car personne d’entre eux ne déshonore le corps et le sang du Seigneur, mais c’est à qui honorera le mieux ce sacrement si salutaire. Zachée et le centurion ne se disputèrent pas entre eux et ne songèrent pas à se préférer l’un à l’autre lorsque celui-là reçut avec joie le Seigneur dans sa maison[1] et que celui-ci dit : je ne « suis pas digne que vous entriez dans ma demeure[2]. » Tous les deux honoraient le Sauveur d’une faon différente et en quelque sorte contraire ; tous les deux se trouvaient misérables par leurs péchés, tous les deux obtinrent miséricorde. De même que, chez le peuple de la première alliance, la manne avait pour chacun le goût qu’il voulait[3], ainsi dans un cœur chrétien des effets divers sont opérés par ce sacrement qui a vaincu le monde. C’est par une inspiration respectueuse que l’un n’use pas le recevoir tous les jours et que l’autre n’ose pas passer un seul jour sans cette divine nourriture. C’est seulement le mépris qu’elle ne permet pas, comme la manne ne souffrait point le dégoût ; voilà pourquoi l’Apôtre dit que ceux-là la reçoivent indignement qui, sans avoir pour elle le respect incomparable qui lui est dit, ne la distinguent pas des mitres viandes. Après avoir dit : « Il mange et boit sa condamnation, » il ajoute : « en ne discernant « pas le corps du Seigneur[4]. » Cela se voit assez clairement dans tout ce passage de la première Épître aux Corinthiens, si on y fait attention.

5. Qu’un voyageur se trouve par hasard dans un lieu où les fidèles qui observent le carême ne se baignent ni ne rompent le jeûne le jeudi : « Je ne veux pas jeûner aujourd’hui, » dit-il. On lui en demande la raison : « Parce que, répand-il, cela ne se pratique pas dans mon pays. » Que fait-il par là, sinon un effort punir substituer sa propre coutume à une autre ? car il ne s’appuiera point sur le livre de Dieu ni sur le témoignage universel de l’Église ; il ne prouvera pas que le catholique du pays où il passe agit contre la foi et qu’il agit lui-même selon la foi, que les autres sont les violateurs et qu’il est, lui, le gardien des bonnes meurs. On viole certainement le repos et la paix en agitant des questions inutiles. J’aimerais qu’en pareille matière celui-ci et celui-là, se trouvant l’un citez l’autre, se résignassent à faire comme les autres font. Si un chrétien, voyageur dans nue contrée étrangère oit le peuple de Dieu est plus fervent et plus nombreux, voit, par exemple, le saint sacrifice offert deux fois, le matin et le soir, le jeudi de la dernière semaine de carême, et que, revenant dans son pays, où l’usage est d’offrir le sacrifice à la fin du jour, il prétende que cela est mal et illicite parce qu’il a vu faire autrement ailleurs, ce sera là un sentiment puéril dont nous aurons à nous défendre, que nous devons réformer parmi nos fidèles et tolérer dans les autres.

6. Voyez donc auquel de ces trois genres appartient la première question que vous avez posée ; voici vos expressions : « Que doit-on faire le jeudi de la dernière semaine du carême ? Faut-il offrir le matin et encore une fois après le souper, à cause de ce qui est écrit : De même après le souper[5] Faut-il jeûner et offrir le sacrifice seulement après le souper, ou bien jeûner et souper après l’oblation, ainsi que nous avons coutume de le faire ? » Je réponds à cela que si l’autorité de la divine Écriture nous prescrit ce qu’on doit faire, il n’est pas douteux qu’il faille nous conformer à ce que nous lisons ; ce ne sera plus sur la célébration, mais sur l’intelligence titi sacrement que nous aurons à discuter. On doit faire de même lorsqu’on usage est commun à toute l’Église, car il y aurait une extrême folie à chercher si l’on doit s’y soumettre. Mais ce que vous demandez ne touche à aucun de ces deux cas. Reste donc le troisième, relatif à ce qui change selon les lieux et les contrées. La règle ici est de suivre ce qui se pratique dans l’Église où l’on se trouve ; car rien dans ces usages n’offense ni la foi ni les mœurs, qui pourtant sont plus parfaites dans un pays que dans l’autre. Or, c’est seulement en vue de la foi et des mœurs qu’il faut réformer ce qui est défectueux et établir ce qui ne se pratiquait pas auparavant ; un changement dans une continue, même quand il est utile, apporte du trouble par sa nouveauté ; et si ce changement n’est pas utile, il n’en reste que le dommage de la perturbation, et dès lors il devient nuisible.

7. Si en plusieurs lieux on offre, le jeudi

  1. Luc, XIX, 6
  2. Matt. VIII, 8
  3. Voy. Rétract. liv. II, chap. 20
  4. I Cor. XI, 29
  5. Luc. XXII, 20