Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/96

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répondez de manière à m’offenser, quelle place nous reste-t-il pour discuter sans aucune aigreur sur les Écritures ? Pour moi, à Dieu ne plaise que je m’offense si vous voulez et si vous pouvez me prouver que vous avez compris mieux que moi ce passage de l’Épître de l’Apôtre ou tout autre passage des saintes Écritures ! Bien plus, à Dieu ne plaise que je ne regarde comme un gain et que je ne reçoive avec action de grâce les lumières qui me viendront de vous pour m’instruire, les avertissements pour me corriger !

2. Mais cependant, mon très-cher frère, si vous ne vous étiez pas cru blessé par mes écrits, vous ne pourriez pas me croire blessé par votre réponse ; je ne pourrais jamais penser que vous eussiez répondu de manière à m’offenser si vous-même ne vous étiez senti offensé. Et si vous m’avez jugé assez dépourvu de sens pour me fâcher d’une réponse qui eût été inoffensive, cette idée est elle-même une offense. Mais ne m’ayant jamais trouvé tel, vous ne voudriez pas témérairement me supposer ce caractère, vous qui avez refusé de croire que la lettre fût de moi, même en y reconnaissant mon style. Si donc vous avez vu avec raison que j’aurais lieu de me plaindre dans le cas où vous m’attribueriez ce qui n’est pas de moi, avec quelle plus grande justice je me plaindrais si vous me preniez témérairement pour ce que je ne suis pas ? Vous ne vous tromperiez donc pas au point de croire que je sois assez insensé pour me plaindre de ce qui dans votre réponse n’aurait rien de blessant.

3. Ce qui reste maintenant, c’est que vous seriez disposé à m’adresser une réponse offensante, si vous saviez avec certitude que la lettre vînt de moi ; et ici, comme je ne puis croire que vous vouliez me blesser sans motif, je n’ai plus qu’à confesser ma faute, à reconnaître que je vous ai blessé le premier dans cette lettre que je ne puis désavouer. Mais pourquoi m’efforcerai-je d’aller contre le courant du fleuve, et ne demanderai-je pas plutôt pardon ? Je vous conjure donc, par la douceur du Christ, de me pardonner si je vous ai offensé, et de ne pas me rendre le mal pour le mal en m’offensant à votre tour. Or, vous m’offenseriez si vous ne me disiez pas ce que vous avez pu trouver à relever dans mes actes ou dans mes paroles ; car si vous repreniez en moi ce qui n’est pas répréhensible, vous vous blesseriez vous-même plus que moi ; un homme de votre vertu et de votre sainte profession ne le fera jamais avec la volonté de me blesser ; vous ne blâmerez jamais en moi avec malignité ce que vous saurez dans votre cœur ne pas être digne de blâme. Donc, ou reprenez-moi avec une âme bienveillante, quoiqu’il n’y ait pas de faute là où vous en voyez, ou bien traitez paternellement celui que vous ne pouvez pas condamner. Il peut se faire que ce que vous croyez ne soit pas la vérité, quoique la charité inspire toujours ce que vous faites. Je recevrais avec gratitude une correction très-amicale, lors même que je n’aurais pas tort, ou je reconnaîtrais à la fois et votre bienveillance et ma faute, et, autant que le Seigneur le permettrait, je me montrerais reconnaissant envers mon censeur et je me corrigerais.

4. Pourquoi donc redouterais-je, comme les cestes d’Entelle, vos paroles, dures peut-être, mais certainement salutaires ? Darès trouvait un rival qui le meurtrissait et non pas un médecin ; il était vaincu et non pas guéri. Pour moi, si je reçois tranquillement comme un remède votre censure, je ne sentirai pas de douleur ; et si la faiblesse humaine ou la mienne est telle que j’éprouve quelque affliction d’un reproche mérité, mieux vaut souffrir à la tête pour la guérison du mal que de garder le mal pour ne pas vouloir toucher à la tête. Il avait bien vu cela, celui qui a dit que nos ennemis nous sont plus utiles en nous cherchant querelle que nos amis en n’osant pas nous reprendre. Ceux-là, dans leur agression, nous disent parfois des vérités dont nous pouvons tirer profit ; ceux-ci au contraire, n’usent pas de toute la liberté qu’ils doivent à la justice, parce qu’ils craignent de porter quelque atteinte à la douceur de l’amitié. Vous vous comparez au bœuf, vieux de corps, mais vigoureux encore par l’esprit, et continuant à travailler utilement dans l’aire du Seigneur ; me voilà, et si j’ai dit quelque chose de mal, foulez-moi de toute la force de votre pied. Je ne me plaindrai point du poids de votre âge, pourvu que la paille de ma faute soit broyée.

5. Aussi les mots qui terminent votre lettre, je les lis ou je les repasse en soupirant ardemment. « Plût à Dieu, dites-vous, que je méritasse vos embrassements, et qu’en des entretiens mutuels nous puissions apprendre quelque chose l’un de l’autre ! » Et moi je dis : plût à Dieu au moins que nous habitassions des contrées voisines, et qu’à défaut d’entretiens,