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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/141

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aucunes richesses ? — A. Non, et ce n’est pas d’aujourd’hui. J’ai trente-trois ans, et il y en a près de quatorze que j’ai cessé de les désirer ; et si quelque hasard me les offrait, je n’y verrais qu’un moyen de fournir à mes besoins et aux besoins d’autrui. Un ouvrage de Cicéron a suffi pour me persuader qu’on ne doit pas les désirer, et que si elles viennent, on doit en user avec beaucoup de sagesse et de prudence. — L. R. Et les honneurs ? — A. J’avoue que je n’ai cessé de les désirer que depuis peu et presque dans ces derniers jours. — L. R. Ne désires-tu pas une femme ? Parfois ne voudrais-tu pas la voir belle, chaste, réglée, lettrée ou capable d’être facilement instruite par toi-même ; et puisque tu méprises les richesses, apportant une dot simplement suffisante pour ne pas troubler ton repos, surtout si tu espères et si tu es certain qu’elle ne te fera jamais éprouver aucune peine ? — A. Sous quelques traits que tu me la représentes, fût-elle comblée de tous les dons, il n’est rien que je sois aussi résolu d’éviter que le commerce d’une femme. Car il n’est rien, je le sens, qui abatte davantage l’essor de l’esprit que les caresses d’une femme et cette union des corps qui est de l’essence du mariage. C’est pourquoi, si c’est un des devoirs du sage, ce que je n’ai point encore examiné, de chercher à avoir des enfants, celui qui s’unit à une femme dans ce seul but me paraît plus digne d’être admiré que d’être imité ; car il y a plus de danger dans cette tentative que de bonheur à y réussir. Aussi je me suis obligé assez justement et assez utilement, je crois, pour la liberté de mon âme, à ne désirer, à ne rechercher, à ne prendre aucune femme. — L. R. Je ne te demande pas en ce moment à quoi tu t’es obligé ; mais si tu luttes encore ou si tu as vaincu la cupidité ; il est question, en effet, de la santé de tes yeux. — A. Je ne recherche plus, je ne désire plus rien de ce genre, je ne m’en souviens même qu’avec horreur et mépris ; que veux-tu davantage ? Et cette heureuse disposition d’esprit s’accroît chaque jour ; car plus s’augmente l’espérance de voir cette beauté suprême pour laquelle je soupire si vivement, plus toutes mes affections, tous mes plaisirs se concentrent en elle. — L. R. Et la délicatesse des mets ? t’occupe-t-elle beaucoup ? — A. Ceux dont j’ai résolu de m’abstenir ne me tentent nullement. Quant à ceux que je ne me suis pas retranchés, j’avoue que je ne puis en user sans quelque plaisir ; mais il est de telle nature qu’après les avoir vus et goûtés, je puis m’en priver sans aucune peine. Lorsqu’ils ne sont pas sous mes yeux, aucun désir ne vient mettre obstacle à mes pensées. Mais ne m’interroge pas d’avantage, soit sur le manger et le boire, soit sur le plaisir du bain, et sur les autres voluptés du corps ; je n’en désire que ce qui petit être utile à ma santé.


CHAPITRE XI.

LES BIENS EXTÉRIEURS DOIVENT PLUTÔT ÊTRE ACCEPTÉS QUE RECHERCHÉS EN VUE DES BIENS VÉRITABLES.

18. L. R. Tu as déjà fait des progrès considérables ; cependant les défauts que tu conserves sont un grand obstacle pour voir cette lumière éternelle. Mais je vais employer un moyen qui tue semble facile pour bien m’assurer s’il ne nous reste plus de cupidité à dompter, ou si nous n’avons fait aucun véritable-progrès, et si la racine des vices que nous croyons détruits ne subsiste pas encore. Réponds à cette question : Si tu étais persuadé de ne pouvoir vivre dans l’étude de la sagesse avec tes amis les plus chers, sans une fortune considérable pour fournir à tous vos besoins, ne désirerais-tu pas, ne souhaiterais-tu pas les richesses ? — A. J’en conviens. — L. R. Et si tu étais persuadé que tu amèneras à la sagesse un grand nombre de personnes, mais à la condition de recevoir des honneurs, une autorité plus considérable ; si tu voyais aussi que tes amis ne sont capables de mettre un frein à leur cupidité ni de se convertir entièrement à la recherche de Dieu, qu’autant qu’ils recevraient eux-mêmes des honneurs et qu’ils ne pourraient y parvenir que dans le cas où tu serais élevé en gloire et en dignité : ne devrais-tu pas aspirer et travailler énergiquement à les obtenir ? — A. La chose serait ainsi que tu le dis. — L. R. Je ne te parle plus de femme ; car il est possible que peut-être il n’y ait jamais une telle nécessité d’en prendre une. Cependant, si elle devait avoir assez de patrimoine pour fournir, et fournir de grand cœur aux besoins de tous ceux que tu désirerais réunir auprès de toi dans un doux loisir ; si de plus elle joignait à cette fortune une naissance assez illustre pour te faire obtenir facilement ces honneurs, que tu as