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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/193

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DU MAÎTRE




Ce livre est un dialogue entre saint Augustin et son fils Adéodat, alors âgé de seize ans. « On y découvre, dit le grand Docteur « lui-même, qu’il n’y a, pour enseigner la science à l’homme, d’autre maître que Dieu[1]. Et voici, en deux mots, le plan de tout l’ouvrage : Ni dans l’ordre physique, ni dans l’ordre intellectuel, on ne peut rien montrer sans employer des signes quelconques. Or, ces signes n’apprennent réellement rien ; ils sont tout au plus des avertissements qui excitent à rechercher la vérité. Dieu seul peut nous la montrer. Il est donc notre seul Maître.
Saint Augustin, dans ses Confessions[2], prend Dieu à témoin que les réponses attribuées à Adéodat sont réellement de lui. On lira, avec un intérêt toujours croissant, cet ouvrage où tant de candeur se mêle à tant de pénétration.


CHAPITRE PREMIER.

LE LANGAGE EST INSTITUÉ POUR INSTRUIRE OU RAPPELER LES SOUVENIRS.

1. Augustin. Que penses-tu que nous voulions faire en parlant ? — Adéodat. Je crois, au moins pour le moment, que nous voulons enseigner ou nous instruire. — Aug. Je le reconnais, car la chose est manifeste : en parlant, nous voulons instruire ; mais comment voulons-nous apprendre nous-mêmes ? — Ad. Comment ? n’est-ce pas en interrogeant ? — Aug. Mais, alors même, je le vois, nous ne voulons qu’instruire. Quand, en effet, tu interroges quelqu’un, n’est-ce pas uniquement pour lui apprendre ce que tu veux ? — Ad. C’est vrai. — Aug. Tu comprends donc qu’en parlant, nous ne cherchons qu’à instruire ? — Ad. Je ne le vois pas parfaitement. Car si parler n’est autre chose que proférer des paroles, il est certain que nous parlons en chantant. Or, quand nous chantons seuls, comme il arrive souvent, et que personne n’est là pour entendre, voulons-nous enseigner quelque chose ? Je ne le pense pas.

Aug. Pour moi, je pense que le chant appartient à une manière fort générale d’instruire elle consiste à réveiller les souvenirs, et cet entretien la fera comprendre suffisamment. Si néanmoins tu n’es pas d’avis que par le souvenir nous instruisions, ni nous-mêmes, ni celui en qui nous le ranimons, je ne conteste pas. Ainsi voilà deux motifs déjà pour lesquels nous parlons : nous voulons en effet, ou enseigner, ou rappeler des souvenirs soit à nous-mêmes, soit à d’autres ; ce que nous faisons aussi en chantant : ne le crois-tu pas comme moi ? — Ad. Non, car il est fort rare qu’en chantant je cherche des souvenirs, je cherche plutôt le plaisir. — Aug. Je vois ta pensée. Mais ne remarques-tu point que le plaisir du chant vient en toi de l’harmonie des sons, et que cette Harmonie étant indépendante des paroles auxquelles elle peut s’unir, comme elle en peut être séparée, le chant est autre chose que la parole ? On chante sur la flûte et sur la guitare, les oiseaux chantent aussi, il nous arrive à nous-mêmes de faire entendre des airs de musique sans les accompagner de paroles : ces airs peuvent alors s’appeler un chant et non un langage. Peux-tu me contredire ? — Ad. Nullement.

2. Aug. Tu vois donc que le langage n’a été institué que pour enseigner ou rappeler des souvenirs ? — Ad. Une seule chose m’empêche de le voir : c’est que nous parlons en priant. Or il n’est pas permis de croire que nous enseignions alors, ou que nous rappelions à Dieu quoi que ce soit. — Aug. Tu ne sais donc pas que s’il nous est commandé de prier après avoir fermé les portes de notre chambre,

  1. Rétr. liv. I, ch. 12.
  2. Liv. IX, ch. 6