Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/198

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ex, dont la longue étude nous a conduits rationnellement aux considérations qui nous occupent, sont des paroles et non pas des noms. On peut montrer beaucoup de mots semblables. Ainsi donc, tous les noms étant des mots et tous les mots n’étant pas des noms, on voit clairement en quoi diffèrent la parole et le nom ; c’est-à-dire le signe d’un signe qui ne désigne point d’autres signes, et le signe d’un signé qui désigne encore d’autres signes.

Aug. Accordes-tu que tout cheval est un animal sans que tout animal soit cheval ? — Ad. Qui en doute ? — Aug. Il y a donc entre le nom et la parole la même différence qu’entre cheval et animal. Serais-tu embarrassé de répondre parce que nous prenons encore la parole, verbum, dans un autre sens, pour exprimer ce qui suit le cours du temps, comme J’écris, j’ai écrit, je lis, j’ai lu : dans cette acception la parole, verbum, n’est pas évidemment un nom. — Ad. Voilà précisément ce qui m’embarrassait. — Aug. Que cet embarras cesse. Le signe est également pris par nous dans un sens général pour exprimer tout ce qui signifie quelque chose : ainsi nous disons que les mots même sont des signes ; et dans un sens spécial : ainsi nous disons les signes ou enseignes militaires, et les mots n’y sont pas compris. Si néanmoins je te disais : De même que tout cheval est un animal sans que tout animal soit cheval, ainsi toute parole est un signe, sans que tout signe soit parole, tu ne verrais, je pense, aucune difficulté. — Ad. Je comprends enfin et je reconnais absolument qu’entre la parole prise dans un sens général et le nom, il y a la même différence qu’entre animal et cheval.

10. Aug. Sais-tu aussi, quand nous disons animal, qu’autre est ce nom de trois syllabes et autre ce qu’il signifie ? — Ad. J’en suis déjà convenu en parlant des signes et des signifiables. — A. Tous les signes te semblent-ils exprimer autre chose que ce qu’ils sont, comme ce mot animal qui ne signifie pas ce qu’il est ? — Ad. Non, assurément ; car ce mot signe désigne non-seulement tous les autres signes, de quelque nature qu’ils soient, mais encore lui-même, puisqu’il est un mot et que tous les mots sont des signes. — Aug. Ne peut-on en dire autant de ce trissyllabe, parole ? Car s’il signifie tous les sons articulés qui expriment quelque-pensée, il appartient lui-même à cette catégorie.— Ad. C’est vrai.— Aug. Le nom, nomen, n’en est-il pas là aussi ? Car il désigne les noms de tous genres, et lui-même est d’un genre, puisqu’il est neutre. Et. si je te demandais à quelle partie du discours le nom se rapporte, pourrais-tu te dispenser de répondre que c’est au nom ? — Ad. Nullement. — Aug. Il est donc des signes qui se désignent eux-mêmes aussi bien qu’ils désignent d’autres signes.— Ad. Il en est. — Aug. Le quadrissyllabe conjonction te semble-t-il un signe de ce genre ? — Ad. Non pas, car il est un nom, tandis qu’il désigne ce qui ne l’est pas.

Chapitre V. Signes réciproques.

11. Aug. Ta réponse est exacte, vois maintenant s’il existe des signes réciproques, des signes dont l’un signifie l’autre et mutuellement. Le quadrissyllabe conjonction n’est pas signe réciproque avec les mots qu’il désigne. Si, ou, car, puisque, sinon, donc, parce que, et autres termes semblables ne sont désignés effectivement que par le mot de conjonction, et aucun d’eux ne désigne le mot de conjonction lui-même. — Ad. Je le vois et je désire connaître quels sont les signes réciproques. — Aug. Tu ne sais donc qu’en disant nom et parole, nous exprimons deux paroles ? — Ad. Je le sais.— Aug. Tu ne sais donc que nom et parole sont deux noms ? — Ad. Je le sais également. — Aug. Tu sais alors que nom et parole se désignent réciproquement. — Ad. Je le sais. — Aug. Peux-tu signaler entre eux d’autres différences que les différences de lettres et de sons ? — Ad. Peut-être, car j’y vois ce que j’ai déjà dit. En effet, parole désigne tous les sons articulés et significatifs ; aussi tout nom, et surtout le nom prononcé est une parole. Mais toute parole n’est pas un nom, quoiqu’il en soit un quand nous disons la parole.

12. Aug. Et si l’on t’affirmait, si l’on te prouvait que toute parole est un nom, comme tout nom est une parole ? pourrais-tu y signaler encore des différences autres que les différences de sons ou de lettres ? — Ad. Je ne le pourrais et je ne crois pas qu’il y en ait. — Aug. Et si tous les sons articulés et expressifs sont a la fois des paroles et des noms, paroles sous un rapport et noms sous un autre ; n’y aura-t-il aucune différence entre la parole et le nom ? — Ad. Je ne comprends pas cela. — Aug.