Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/199

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Tu comprends au moins que tout ce qui est coloré est visible, et que tout ce qui est visible est coloré, quoique chacun de ces deux termes ait une signification parfaitement distincte ? — Ad. Je le comprends.— Aug. Serait-il donc étonnant que toute parole fût également un nom et tout nom une parole, quoique ces deux noms ou paroles, savoir le nom et la parole, diffèrent de signification ? — Ad. Je vois que cela peut se faire ; mais j’attends que tu me montres de quelle manière.

Aug. Tu remarques, sans doute, que tous les sons expressifs et articulés frappent l’oreille pour être entendus, et pénètrent dans la mémoire pour être connus ? — Ad. Je le remarque. — Aug. Deux choses s’accomplissent donc alors. — Ad. Oui. — Aug. N’est-ce pas un de ces effets qui a fait donner à ces sons le nom de paroles, et l’autre qui les a fait appeler noms ? Parole, verbum, viendrait du mot frapper, a verberando, et nom, nomen, du verbe connaître, a noscendo ; la parole devrait ce nom à l’impression qu’elle produit sur l’oreille, et le nom, à celle qu’il produit sur l’esprit.

13. Ad. J’en conviendrai lorsque tu m’auras fait voir comment nous pouvons dire que toutes les paroles sont des noms.— Aug. C’est facile. Tu as sans doute appris et tu t’en souviens, que le pronom est ainsi appelé parce qu’il tient la place du nom, tout en désignant l’objet moins parfaitement que le nom. Voici je crois comment l’a défini l’auteur que tu as récité devant le grammairien : Le pronom, dit-il, est une partie du discours qui mise à la place du nom signifie, quoique moins pleinement, la même chose.— Ad. Je me rappelle et j’approuve cette définition. — Aug. Tu vois donc que d’après elle le pronom ne peut être mis et employé qu’à la place du nom. Ainsi quand nous disons. : Cet homme, ce roi même, la même femme, cet or, cet argent, cet, ce, la même, sont des pronoms, et homme, roi, femme, or, argent, des noms qui expriment la chose mieux que les pronoms. — Ad. Je partage ce sentiment. —Aug. Maintenant donc énonce-moi quelques conjonctions. — Ad. Et, mais, ainsi que. — Aug. Tous ces mots, haec omnia, ne te semblent-ils pas des noms ? — Ad. Pas du tout. — Aug. Tu crois au moins que j’ai parlé juste en disant : haec omnia ? — Ad. Très-juste ; et je comprends même avec quelle habileté merveilleuse tu as montré que j’ai énoncé des noms : sans cela tu n’aurais pu dire : haec omnia. Si cependant ton langage me paraît juste, n’est-ce point par ce que je ne nie pas que ces quatre conjonctions soient des mots ? Car on peut entendre haec omnia de verbes, mots, aussi bien que de nomma, noms. Et néanmoins si tu me demandes à quelle partie du discours appartiennent les mots, je répondrai simplement : Au nom.— C’est donc peut-être au nom que se rapporte le pronom haec, et c’est pour ce motif que ton langage était correct.

14. Aug. Tu te trompes malgré ta pénétration ; mais pour connaître la vérité, applique-toi avec plus de pénétration encore à ce que je vais dire, si toutefois je puis m’exprimer comme je veux. Car c’est une chose aussi compliquée de discuter sur les mots par des mots que de se croiser les doigts et de les frotter l’un contre l’autre. Quel autre que celui qui souffre peut distinguer ceux qui démangent de ceux qui répriment la démangeaison ? — Ad. Me voici tout entier ; cette comparaison a provoqué en moi l’attention la plus vive.— Aug. Les mots consistent dans le son et dans des lettres.— Ad. Sans aucun doute.— Aug. Donc, pour recourir de préférence à l’autorité qui nous est la plus chère, quand l’apôtre Paul dit : « Il n’y avait point dans le Christ le oui et le non ; le oui fut seul en lui, » on ne doit pas croire, je présume, que les trois lettres du mot Oui fussent dans le Christ, mais plutôt ce que signifient ces trois lettres. — Ad. C’est vrai. — Aug. Tu comprends donc que le Oui était en lui, ne signifie que ceci : on appelle oui ce qui était en lui ; et si l’apôtre avait dit : La vertu était en lui, on devrait entendre aussi qu’il a voulu dire simplement : on appelle vertu ce qui était en lui, et ne pas s’imaginer que c’étaient les deux syllabes du mot vertu qui étaient en lui et non ce que signifient ces syllabes ? — Ad. Je comprends cela et j’en conviens.— Aug. Et ne comprends-tu pas aussi que peu importe de dire : s’appelle vertu ou se nomme vertu ? — Ad. C’est clair. —Aug. Donc il est également clair qu’il n’y a point de différence entre dire : ce qui était en lui s’appelle Oui, ou se nomme Oui ? Ad. Ici encore je ne vois aucune différence.

Aug. Vois-tu aussi ce que je prétends démontrer ? — Ad. Pas encore — Aug. Ainsi tu ne vois pas que le nom est ce qui sert, à nommer quelque chose ? — Ad. Il n’est rien au contraire que je voie plus clairement. — Aug. Tu vois donc que Oui est un nom, puisqu’on nomme Oui ce