De quelque manière que se possède la sagesse humaine, je vois que je ne la connais pas encore. Cependant n’ayant que trente-trois ans[1], je ne dois pas désespérer de l’acquérir un jour. J’avais résolu de m’appliquer à la chercher, en méprisant généralement tout ce que les hommes regardent ici-bas comme des biens. Cependant les raisons des académiciens m’effrayaient beaucoup dans cette entreprise : mais je me suis, je crois, assez armé contre elles dans cette discussion. Tout le monde sait qu’il y a deux moyens de connaître : l’autorité et la raison. Je suis résolu de ne m’écarter en rien de l’autorité du Christ ; car je n’en trouve pas de plus puissante. Quant à ce qu’il faut examiner avec la pénétration de la raison, car mon caractère me fait ardemment désirer de ne pas croire seulement la vérité, mais aussi de la comprendre, j’espère pouvoir trouver chez les platoniciens une doctrine quine sera pas opposée à nos saints mystères.
44. S’apercevant ici que j’avais achevé mon discours, les jeunes gens, quoiqu’il fût nuit et qu’on eût même écrit quelque chose depuis qu’on nous avait apporté la lumière, attendaient vivement pour savoir si Alype ne s’engagerait pas à répondre au moins un autre jour. Celui-ci alors : Je l’affirme, dit-il, jamais rien ne m’a autant réussi que de sortir vaincu de la discussion d’aujourd’hui. Et je ne crois pas que cette joie ne doive être que la mienne : je la partagerai donc avec vous, mes antagonistes, ou bien nos juges. Car les académiciens eux-mêmes ont peut-être souhaité d’être vaincus de cette manière par ceux qui devaient les suivre. En effet, que pouvions-nous trouver et que pouvait on nous offrir de plus agréable par le charme du discours, de plus juste dans la gravité des pensées, de plus promptement donné par la bienveillance, et de plus rempli de science ? Je ne puis admirer assez dignement comment des questions aussi épineuses ont été traitées avec tant d’enjouement, avec quelle force on a triomphé du désespoir, avec quelle modération on a exprimé ses convictions, avec quelle clarté on a touché à des choses aussi obscures. Ainsi, mes amis, renoncez à votre attente, ne me provoquez plus à répondre, nourrissez plutôt avec moi une espérance plus ferme de nous instruire. Nous avons un guide pour nous conduire, sous la direction de Dieu même, dans le sanctuaire de la vérité.
45. Comme leur visage laissait voir un certain mécompte puéril de ce qu’Alype ne paraissait pas vouloir me répondre : Êtes-vous jaloux de ma gloire ? leur dis-je en souriant ? Sûr de la constance d’Alype, je ne le crains plus ; mais, pour vous donner sujet à vous-mêmes de me rendre grâces, je vais vous armer contre celui qui a trompé si cruellement votre espoir. Lisez les Académiciens, et quand vous y aurez trouvé Cicéron vainqueur de ces bagatelles[2] (qu’y a-t-il de plus facile) ? obligez Alype de défendre mon discours contre les arguments invincibles de ce philosophe. Voilà la récompense pets agréable que je t’accorde, Alype, en échange des louanges trop peu fondées que tu m’as décernées. — Cela les fit rire, et nous mîmes fin à cette longue discussion, solidement, je ne sais, mais plus rapidement et plus promptement que je ne l’avais espéré.
- ↑ Saint Augustin avait donc commencé cet ouvrage Contre les Académiciens dans sa trente-deuxième année, dit-il lui-même (Rét, liv. 1, ch.2) pour rédiger le Traité de la Vie Bienheureuse, auquel avait donné occasion l’anniversaire de sa naissance, 13 novembre.
- ↑ Rétr. liv. 1, chap. 1, n, 1.