de l’adultère est dans la passion qui le fait commettre. Pour mieux le comprendre, suppose un homme empêché d’abuser de la femme d’autrui, mais qui le désire, et croit, pour une raison ou pour une autre, y parvenir, en un mot, qui est prêt à le faire s’il le pouvait. N’est-il pas vraiment coupable, comme si on le surprenait en flagrant délit ? — E. Ce raisonnement est de la plus claire évidence ; et il n’est pas besoin, je le vois, d’un long discours pour me le faire appliquer à l’homicide, au sacrilège et à tous les autres crimes. Il demeure établi que c’est la passion seule qui fait le fond de tout acte mauvais.
CHAPITRE IV.
9. A. Sais-tu que la passion s’appelle encore d’un autre nom, et qu’on la nomme aussi cupidité ? — E. Je le sais. — A. Eh bien ! penses-tu qu’il n’y ait pas de différence entre cette cupidité et la crainte ? — E. Il me semble qu’il y a une grande différence entre les deux. — A. Et cette manière de voir vient sans doute de ce que la cupidité recherche son objet, au lieu que la crainte le fuit ? — E. Précisément. — A. Mais quoi 1 si un homme, excité non par la cupidité, non par le désir d’acquérir quelque chose, mais par la crainte qu’il ne lui arrive du mal, tue un autre homme, ne sera-t-il point homicide ? — E. Il l’est. Mais dans cet acte, je vois encore dominer la cupidité. Car celui qui tue un homme par crainte, est certainement mu par le désir de vivre sans crainte. — A. Et, à ton avis, est-ce un bien de peu d’importance que de vivre exempt de crainte. — E. C’est un grand bien, au contraire. Mais cet homicide ne peut nullement l’acquérir par son crime. — A. Je ne cherche pas ce qui lui adviendra, mais ce qu’il désire. Celui qui désire vivre sans crainte, désire certainement un bien ; et ce désir en lui-même n’est pas coupable ; autrement il faudrait déclarer coupables tous ceux qui comme nous désirent le bien. Nous sommes donc forcés de reconnaître qu’il existe une espèce d’homicide dans lequel on ne voit pas dominer cette cupidité mauvaise dont nous avons parlé. Et alors de deux choses l’une : ou il est faux que la passion constitue la malice de tous les péchés, ou il existe une espèce d’homicide qui n’est pas un péché. — E. Si l’homicide consiste à tuer un homme, il peut quelquefois n’être pas un péché. Ainsi le soldat qui tue l’ennemi, le juge ou l’exécuteur qui met à mort le criminel, l’homme qui, involontairement et sans s’en apercevoir, laisse échapper un trait meurtrier, me paraissent exempts de péché. — A. Je suis de ton avis. Mais il n’est pas reçu qu’on les appelle des homicides. Réponds plutôt à cette question Ranges-tu aussi dans la catégorie de ceux qui en donnant la mort ne méritent pas le nom d’homicides, l’homme qui a tué son maître par la crainte de graves châtiments ? — E. Je trouve une grande différence entre celui-ci et les autres. Les premiers en effet se conforment aux lois, ou du moins ne les violent pas ; tandis que je ne connais aucune loi qui approuve le fait du second.
10. A. Tu reviens encore à l’argument d’autorité ; sois donc fidèle à te rappeler que nous cherchons à comprendre ce que nous croyons. Nous croyons aux lois ; il s’agit d’examiner et de comprendre si la loi qui punit ce fait ne punit pas à tort. — E. La loi ne punit nullement à tort, puisqu’elle punit un homme qui volontairement et sciemment tue son maître ; ce que ne font pas ceux dont nous avons parlé d’abord. — A. Mais, ne te rappelles-tu pas avoir dit un peu plus haut que c’est la passion qui domine dans tous les actes mauvais, et que c’est là ce qui en constitue la malice ? — E. Je me le rappelle fort bien. — A. Et n’as-tu pas admis ensuite que le désir de vivre sans crainte n’est pas un mauvais désir ? — E. Je me le rappelle aussi. — A. Il s’ensuit que ce désir de l’esclave qui le porte à tuer son maître n’est pas cette cupidité coupable dont il a été question. Par conséquent, nous n’avons pas encore trouvé la raison pour laquelle cette action est criminelle. Car il est convenu entre nous que ce qui fait la malice de tous les actes mauvais, c’est la passion, ou, comme nous l’avons autrement nommée, la cupidité criminelle. — E. Il me semble maintenant que l’esclave meurtrier est condamné injustement ; ce que je n’aurais pu dire, vraiment, si j’avais autre chose à dire. — A. Aurais-tu donc cru à l’obligation de laisser un si grand crime impuni, avant d’avoir examiné pourquoi l’esclave a désiré être délivré de la crainte de son maître ; si c’est pour satisfaire sa