Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/334

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je ne blâme pas la loi qui autorise ces sortes de meurtres ; mais d’un autre côté je ne vois pas comment on peut justifier ceux qui les commettent. 13. E. Je vois moins encore pourquoi tu cherches à défendre des hommes qu’aucune loi ne tient pour coupables. — A. Aucune de ces lois extérieures et qu’on lit dans les codes, je l’admets. Mais ne sont-ils pas liés par une autre loi plus. puissante et plus secrète, puisque nous admettons que rien en ce monde n’échappe à l’action de la Providence de Dieu. Comment peuvent-ils être exempts de péché à ses yeux, ces hommes qui se souillent de sang humain pour défendre des choses que l’on doit mépriser ? A mon avis, c’est donc avec raison que cette loi écrite en vue de gouverner les peuples permet ces actes, et que la Providence divine les punit. Car cette loi ne punit qu’autant qu’il le faut pour maintenir la paix parmi des hommes sans expérience et que le comporte le gouvernement d’un mortel. Mais quant à ces fautes dont j’ai parlé, je crois qu’il existe pour elles des peines proportionnées, que la sagesse seule peut faire éviter.— E. Ta distinction n’est qu’ébauchée et imparfaite ; cependant je la loue et l’approuve, elle accuse un généreux élan de la pensée et des tendances d’une haute portée. Tu vois la loi qui régit les peuples, tolérer et laisser impunis bien des actes que punit la Providence Divine ; et tu vois juste. Car si cette, législation ne pourvoit pas à tout, ce n’est pas une raison pour improuver ce qu’elle fait.



CHAPITRE VI. LA LOI ÉTERNELLE EST LA RÈGLE DES LOIS HUMAINES. NOTION DE LA LOI ÉTERNELLE.

14. A. Allons plus au fond ; et, si tu le veux, recherchons avec soin dans quelle mesure, la loi qui maintient les sociétés en cette vie doit punir les crimes, pour voir ensuite le rôle de la Providence divine dans sa répression invisible et plus inévitable encore. — E. Je le veux, si toutefois il est possible d’embrasser les dimensions d’un tel sujet, car il me paraît vaste comme l’infini. — A. Courage ! Continue à t’appuyer sur la piété, et pénètre hardiment dans les voies de la raison. Il n’est pas de chemin si âpre et si difficile, qui ne devienne tout uni et aisé avec l’aide de Dieu. Fixons sur lui nos regards en implorant son secours, et poursuivons notre entreprise. Et d’abord, réponds à cette question : la loi promulguée dans les codes est-elle utile aux hommes vivant de la vie présente ? — E. Cela est de toute évidence, puisqu’elle maintient les peuples et les sociétés qui se composent de ces hommes ? — A. Maintenant, ces hommes et ces peuples sont-ils du nombre de ces choses qui ne peuvent périr ni changer ; sont-ils éternels, en un mot ? — E. L’espèce humaine est changeante et sujette aux vicissitudes du temps : qui pourrait en douter ? — A. Eh bien ! lorsqu’un peuple est modéré et grave dans ses mœurs, doué d’un ardent amour pour le bien public, et que chacun préfère l’intérêt général à son avantage particulier, n’est-il pas juste que la loi lui laisse le soin de choisir les magistrats qui doivent diriger ses affaires, c’est-à-dire les affaires publiques ? — E. Très juste. — A. Mais si ce peuple devenu dépravé dans la suite des temps, plaçant l’intérêt général après l’intérêt particulier, vient à vendre ses suffrages ; si, corrompu par les ambitieux, il livre son gouvernement à des hommes remplis de vices et chargés de crimes, n’est-il pas juste encore que l’homme de bien, s’il en reste un seul qui unisse la puissance à la vertu, ôte à ce peuple le pouvoir de conférer les honneurs, et le soumette à l’autorité de quelques citoyens honnêtes, et même d’un seul ? — E. C’est encore justice. — A. Voilà cependant deux lois évidemment contraires, dont l’une confère et l’autre enlève au peuple le pouvoir de créer ses magistrats ; deux lois qui ne peuvent en aucune manière exister simultanément dans la même cité. Devrons-nous dire pour cela que l’une des deux est injuste, et qu’on ne devait pas l’édicter ? — E. Non pas. — A. Veux-tu que nous appelions temporelle cette loi qui étant juste d’abord, peut néanmoins être changée avec justice dans le cours du temps ? — E. Ce nom lui convient. 15. A. Mais il est une autre loi qu’on nomme la raison souveraine ; à laquelle est due l’obéissance partout et toujours ; en vertu de laquelle les méchants méritent la vie misérable et les bons la vie heureuse, en vertu de laquelle encore cette autre loi que nous avons résolu d’appeler temporelle est édictée justement et changée avec la même justice. Or, pour quelqu’un qui réfléchit, cette loi suprême n’est-elle pas immuable et éternelle ? Peut-il jamais