Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/343

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pas, si les hommes n’aimaient pas ces choses qui peuvent leur être ravies malgré eux, soit que l’injustice les en privât, soit que la loi leur infligeât cette sorte de punition. — E. Je le vois aussi. — A. Maintenant concluons. Les uns font un mauvais usage de ces biens, les autres en usent bien. Celui qui en use mal, s’attache à eux, s’y embarrasse, en sorte qu’il est soumis à ces choses qui devraient lui être soumises ; il les regarde comme des biens pour lui, tandis que c’est lui qui devrait être le bien pour elle, les réglant et les disposant comme il convient. D’un autre côté, celui qui en use avec droiture, montre qu’elles sont bonnes, mais non pas qu’elles soient des biens pour lui ; car elles ne le rendent ni bon ni meilleur, et ce sont elles qui le deviennent par lui. C’est pourquoi il ne leur est point attaché par l’amour, il ne fait pas d’elle, pour ainsi parler, les membres de son âme, ce qui constitue l’amour, de peur d’être tourmenté et souillé quand on viendrait à les lui retrancher ; mais il vit tout à fait au-dessus d’elles, prêt à les posséder et à les gouverner quand il en est besoin, plus prêt encore à ne les point avoir et à les perdre. Puisqu’il en est ainsi, doit-on incriminer l’or et l’argent parce qu’il y a des avares, les viandes, à cause des gourmands, le vin à cause des ivrognes, la beauté des femmes à cause des adultères et des débauchés, et ainsi du reste ? Ne voit-on pas le médecin même faire un bon usage du feu, et l’empoisonneur abuser criminellement du pain ? — E. Il est très-vrai que ce ne sont pas les créatures elles-mêmes qu’il faut accuser, mais les hommes qui en abusent.



CHAPITRE XVI. EPILOGUE DU LIVRE PREMIER.

A. Très-bien. Ainsi, nous avons déjà commencé de voir quelle est la valeur de la loi éternelle ; nous avons trouvé de même les limites que peut atteindre la loi temporelle dans la répression ; de plus, nous avons suffisamment et clairement distingué deux sortes de choses, les éternelles et les temporelles, et aussi deux sortes d’hommes, poursuivant et aimant, les uns les choses éternelles, les autres, les choses temporelles ; enfin, il a été constaté que le choix en vertu duquel chacun se livre à la recherche et à l’affection des unes ou des autres, réside dans la volonté[1] ; que rien, si ce n’est la volonté ne peut faire déchoir l’âme du trône de sa royauté, ni l’entraîner hors de la ligne droite de l’ordre ; et il est demeuré évident qu’on ne doit incriminer aucune des créatures dont les hommes abusent, mais bien ceux qui en font abus. Maintenant, revenons s’il te plaît, à la question posée au commencement de cet entretien, et voyons si elle est résolue. Nous avions entrepris de chercher ce que c’est que mal faire, et c’est dans ce but que tout a été dit. Le moment est donc venu de réfléchir, et de voir si faire le mal ne consiste pas à négliger les choses éternelles dont l’âme jouit par elle-même, qu’elle atteint aussi par elle-même, et qu’elle ne peut perdre tandis qu’elle les aime, et à se livrer à la recherche des choses temporelles qui lui paraissent grandes et admirables, tandis qu’elles ne sont senties que par la partie la plus basse de l’homme, et qu’elles ne peuvent jamais lui être assurées. C’est dans cette unique catégorie que peuvent être rangées, selon moi,.toutes les mauvaises actions, c’est-à-dire les péchés. Que t’en semble ? J’attends que tu me le fasses connaître. 35. E. Il en est comme tu le dis, et je suis d’accord que tous les péchés sont renfermés dans cette catégorie unique, et qu’ils consistent à se détourner des aloses divines et vraiment durables, pour se tourner vers les choses changeantes et incertaines. Toutes celles-ci sont à leur place et dans l’ordre ; et elles réalisent un plan qui a sa beauté ; mais c’est le fait d’une âme pervertie et désordonnée de se soumettre à elles en les recherchant, tandis que l’ordre et le droit divin l’a élevée au-dessus d’elles pour les conduire à sa volonté. En même temps, il me semble aussi que nous avons la solution et l’éclaircissement de la question de l’origine du mal dont nous nous sommes occupés après avoir traité de la nature du mal ; car si je ne me trompe, le raisonnement l’a démontrée : nous faisons le mal par le libre arbitre de la volonté. Mais, je te demande maintenant, si ce même libre arbitre d’où nous vient certainement la faculté de pécher, a dû nous être donné par celui qui nous a faits. En effet, il me paraît que nous n’aurions jamais péché si nous n’avions pas le libre arbitre ; et pour cela, il est à craindre que Dieu aussi ne soit considéré

  1. Rétr. liv. I, ch. IX, n. 3.