Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/390

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à mort ; car si ces mouvements ne sont point un châtiment, s’ils viennent de la nature, ils sont sans péché, puisque l’homme en s’y livrant, ne ferait qu’obéir à cette nature qu’il a reçue avec la vie et au-dessus de laquelle il ne saurait s’élever, et puisque par conséquent il accomplirait son devoir. Mais l’homme serait bon s’il ne les éprouvait pas ; il n’est pas bon, maintenant qu’il les éprouve et il n’a pas le pouvoir de le devenir, soit parce qu’il ne sait pas ce qu’il devrait être, soit qu’il le sache et ne puisse y parvenir : qui peut douter alors que ce soit une peine ? Or toute peine quand elle est juste est la peine d’un péché et se nomme châtiment. Est-elle injuste et véritablement une peine ? Elle est infligée par quelque injuste dominateur. Et comme il y aurait démence à révoquer en doute la toute-puissance ou la justice de Dieu, la peine dont nous parlons est juste, elle est destinée à châtier quelque crime. On ne peut supposer en effet qu’un injuste dominateur ait pu dérober l’homme en quelque sorte à l’insu de Dieu ; ni le lui ravir malgré lui, comme s’il était le plus faible, et-en employant les menaces ou la violence, afin de le- punir injustement. La seule conclusion à tirer est donc de croire que cette même peine est infligée justement par suite de la condamnation de l’homme (1). 52. Faut-il s’étonner encore que l’ignorance ne laisse point à l’homme la liberté de choisir le bien qu’il a à faire ; que les résistances de la convoitise charnelle devenue comme une seconde nature par la violence brutale des générations humaines ne permette point de faire le bien que l’on connaît et que l’on veut ? La juste peine du péché est de perdre ce dont on n’a pas voulu faire un bon usage quand on le pouvait aisément avec quelque bonne volonté. Ainsi quand on n’accomplit pas le bien que l’on connaît, on perd la science du bien ; et quand on ne veut pas faire le bien que l’on peut, on perd le pouvoir de le faire quand on veut. L’ignorance et la difficulté sont en effet les deux châtiments de toute, âme coupable ; l’ignorance qui produit da confusion de l’erreur, la difficulté qui cause la douleur du travail. Or quand on prend ainsi le faux pour le vrai et qu’on s’égare malgré soi ; quand accablé sous le poids de la lutte et déchiré par la douleur des liens charnels, on ne peut s’abstenir

1. Rétr. Liv. I, ch. IX, II, 5.

des actes déréglés, on n’est point dans la nature telle que Dieu l’a établie, on souffre la peine à laquelle il a condamné. Quand nous parlons ici de la liberté du bien, nous entendons celle qui fut donnée à l’homme au moment de sa création (1).



CHAPITRE XIX. VAINES EXCUSES DES PÉCHEURS QUAND ILS PRÉTEXTENT L’IGNORANCE ET LA DIFFICULTÉ PRODUITES PAR LE PÉCHÉ D’ADAM.

53. Voici maintenant cette- question que semblent ronger en murmurant les hommes disposés à tout faire en faveur de leurs péchés, plutôt que de s’en accuser. Ils disent donc : Si Adam et Eve ont péché, comment nous autres, infortunés ; avons-nous mérité de naître dans l’aveuglement de l’ignorance et soumis aux tourments de la difficulté, d’ignorer d’abord ce que nous devons taire, puis, quand nous commençons à connaître les règles de la justice et à les vouloir suivre, d’en être empêchés par je ne sais quelles résistances opiniâtres de convoitise charnelle ? Je leur réponds en peu de mots de se taire, de cesser leurs murmures contre Dieu. Peut-être auraient-ils droit de se plaindre, si nul ne triomphait de l’erreur et de la passion. Mais le Seigneur n’est-il pas présent partout ? N’emploie-t-il pas de mille manières les créatures qui lui sont soumises pour appeler ceux qui sont éloignés, pour instruire la foi ; consoler l’espérance, encourager la charité, seconder les efforts, exaucer ceux qui prient ? On ne te fait pas un crime de ton ignorance involontaire ; mais de ta négligence à t’instruire ; on ne te reproche pas non plus de ne point panser tes membres blessés, mais de repousser celui qui s’offre à te les guérir ; voilà tes- péchés véritables, car à personne n’est ôté le bon sens de savoir qu’il y a profit à s’instruire de ce qu’on ignore sans profit et qu’il faut confesser humblement sa faiblesse pour obtenir le secours de Celui qui éclaire lés ignorants sans se tromper, qui aide les faibles sans se fatiguer. 54. Si l’on appelle péché le mal que fait l’homme par ignorance où par impuissance, c’est parce que c’est la conséquence méritée par ce premier et libre péché d’origine. Le

1. Rétr. Liv.I, ch. IX, n. 5.