Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/396

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mériter ? Quelle contenance fera-t-il au jugement dernier, car il ne compte point parmi les justes, puisqu’il n’a fait aucun bien, ni parmi les méchants, puisqu’il n’a fait aucun mal ? On leur répond d’abord qu’à considérer l’univers dans son ensemble, et l’ordre si régulier qui unit toutes les créatures dans tous les lieux et dans tous les temps, il est impossible qu’un homme naisse sans motif, puisque, sans motif, les arbres mêmes ne produisent aucune feuille : ce qui est inexplicable, c’est qu’on s’occupe des mérites de qui n’a rien mérité. S’il peut y avoir une espèce de vie moyenne entre le bien et le mal, peut-on craindre que le Juge suprême ne puisse prononcer une sentence qui tienne le milieu entre la récompense et le châtiment ? 67. Ici encore les mêmes hommes ont l’habitude d’examiner quel avantage procure aux enfants le baptême du Christ, puisqu’ils meurent souvent après l’avoir reçu et avant d’en avoir pu rien connaître. — Mais la foi et la raison permettent assez de croire qu’à l’enfant profite la foi de ceux qui l’offrent à la consécration qu’imprime le sacrement. L’autorité salutaire de l’Église appuie ce sentiment, et chacun peut comprendre combien est utile la foi personnelle, quand la foi d’autrui est si avantageuse à qui ne peut encore avoir une foi à lui. Est-ce à la foi personnelle qu’il ne pouvait avoir puisqu’il était mort, que le fils de la veuve a dû son salut et n’est-ce pas la foi de sa mère qui a obtenu sa résurrection (1) ? Combien plus encore le petit enfant doit bénéficier de la foi d’autrui, puisque son défaut de foi ne saurait lui être reproché ! 68. Passons aux douleurs corporelles dont souffrent ces petits, que leur âge même exempte de tout péché. Si l’âme qui les fait vivre n’a pas existé avant eux, les plaintes semblent plus autorisées et inspirées par la compassion même : Quel mal ont-ils fait pour souffrir ainsi, dit-on ? Mais l’innocence peut-elle être méritoire avant qu’on ait eu la possibilité de nuire ? Et si Dieu pour corriger et châtier les parents, se sert avec avantage des douleurs et de la mort qu’endurent les enfants qui leur sont chers, qui peut l’empêcher de recourir à ce moyen ? Une fois passées d’ailleurs ces souffrances seront pour les enfants comme non avenues ; et les

1. Luc, VII, 12-15.

parents en faveur de qui Dieu les a permises seront améliorés, s’ils ont profité de ces afflictions temporelles et choisi un genre de vie plus sage ; ou bien ils n’auront aucune excuse à opposer à la juste sentence dont les frappera le jugement futur, si les angoisses de la vie présente n’ont pu les déterminer à tourner leur cœur vers l’éternelle vie. Quant à ces enfants dont les douleurs servent à briser la dureté de leurs parents, à exercer leur foi ou à éprouver leur tendresse, qui sait ce que Dieu leur réserve d’heureuse compensation dans le secret de ses conseils, car s’ils n’ont fait aucun bien, ils ne souffrent pas non plus pour expier des fautes qu’ils n’ont pas commises ? Est-ce en vain que l’Église honore et associe à la gloire des martyrs ces enfants qui furent mis à mort, lorsque Hérode cherchait à faire périr Notre-Seigneur Jésus-Christ (1) ? 69. Mais ces calomniateurs, ces hommes qui sont plutôt des bavards jongleurs que des observateurs attentifs, vont chercher jusque dans les maladies et les fatigues des animaux les moyens d’ébranler la foi des simples. Quel mal ont fait encore les animaux, disent-ils, pour souffrir de tant de manières, et qu’espèrent-ils dans toutes ces épreuves ? Ce langage ou ces sentiments prouvent qu’ils ont de très-fausses idées des choses ; incapables de voir la nature et la grandeur du souverain bien, ils voudraient que tout ressemblât à l’idée qu’ils en ont. Ils n’élèvent pas cette idée au-dessus des corps célestes qui sont les plus parfaits et les plus incorruptibles de tous les corps ; aussi voudraient-ils avec toute la déraison possible que les corps des animaux ne fussent sujets ni à la mort ni à la corruption. Mais étant les derniers des corps ne sont-ils pas mortels et sont-ils mauvais pour ne valoir pas autant que les corps célestes ? D’ailleurs les souffrances endurées par les bêtes montrent jusque dans le principe de vie qui les anime une puissance admirable et magnifique en son genre. On voit, en effet, combien elles cherchent l’unité dans le corps qu’elles animent et’ qu’elles dirigent. Car la douleur est-elle autre chose que le sentiment qui résiste à la séparation ou à la corruption ? Ainsi donc ne voit-on pas ; plus clair que le jour, combien cette âme des bêtes recherche l’unité dans tout son corps et s’y attache opiniâtrement ? Ce n’est en effet, ni avec plaisir

(1) Matth.. II, 16.