tu mets deux pions en longueur, tu n’obtiendras un carré qu’à la condition d’en mettre deux autres en largeur : si tu en mets trois, il faudra en ajouter six, en les rangeant, bien entendu, trois à trois sur les deux files dans le sens de la largeur : car si tu les rangeais dans le sens de la longueur, il n’y aurait plus de figure géométrique, la longueur sans la largeur ne formant pas de figure. On peut en dire autant de tout autre nombre : car si 2 multiplié par 2,3 par 3, sont des carrés, il en est de même de 4 multiplié par 4,5 par 5,6 par 6, et ainsi indéfiniment. — L’E. C’est une vérité incontestable. — Le M. Eh bien ! Le temps n’a-t-il pas sa longueur. — L’E. Peut-on dire qu’il y ait durée sans longueur ? — Le M. Le vers peut-il ne pas occuper une certaine longueur de temps ? — L’E. Loin de là, c’est la condition même de son existence. — Le M. Dans cette étendue du vers, que pourrions-nous substituer à nos pions de tout à l’heure ? Sera-ce des pieds nécessairement divisés en deux parties, le levé et le posé, ou des demi-pieds qui comprennent un à un les levés et les posés ? — L’E. Les demi-pieds, à mon sens, tiendront mieux la place des pions. 26. Le M. Alors rappelle-moi combien le membre le plus court du vers héroïque renferme de demi-pieds ? — L’E.5. — Le M. Cite-moi un exemple. — L’E. : Arma virumque cano.
Le M. Qu’attends-tu maintenant sinon de voir que les 7 autres demi-pieds sont avec eux dans un rapport parfait d’égalité ? — L’E. C’est précisément ce que j’attends. — Le M. Eh bien ! 7 demi-pieds peuvent-ils seuls faire un vers complet. — L’E. Oui sans doute, car le premier et le moindre vers a juste autant de demi-pieds, en comptant un silence à la fin. — Le M. Mais pour qu’il puisse y avoir vers, comment fais-tu la division des pieds en deux membres ? — L’E. En 4 demi-pieds d’une part et 3 de l’autre. — Le M. Élève maintenant au carré chacune de ces fractions. Com bien font 4 multiplié par 4 ? — L’E.169 — Le M. Et quel est le carré de 3 ? — L’E.9. — Le M. Et la somme de ces deux carrés, quelle est-elle ? — L’E.25. — Le M. Ainsi donc 7 demi-pieds, pouvant se partager en deux membres, donnent, si l’on élève chaque membre au carré, le nombre 25, et c’est là une partie du vers héroïque. — L’E. Oui. — Le M. Et la deuxième partie, composée de 5 demi-pieds ? Comme elle ne peut se diviser en deux membres, et qu’elle doit être avec la première dans un rapport d’égalité, ne faut-il pas l’élever tout entière au carré ? — L’E. C’est tout ce qu’il faut faire et je reconnais un rapport d’égalité merveilleux. Car le carré de 5 me donne le même nombre 25. C’est donc avec raison que les vers de six pieds sont les plus employés et les plus renommés. Car leurs membres inégaux ont une proportion, qui comparée à celle des autres vers, peut à peine se définir.
CHAPITRE XIII.
27. Le M. Ainsi je ne t’ai pas fait une fausse et vaine promesse, ou plutôt la raison, notre commun guide, ne t’a pas trompé. Pour clore enfin cet entretien, tu vois que, si le nombre des mètres est incalculable, le vers ne peut exister sans être composé de deux membres, d’une juste proportion entre eux, terminés soit par un nombre pair de demi-pieds, mais non susceptible de conversion, comme dans le vers
Maecenas atavis edite regibus ;
Soit par un nombre impair de demi-pieds liés toutefois ensemble par une certaine égalité, comme sont les nombres 4 et 3, 5 et 3, 5 et 7, 6 et 7, 8 et 7, 7 et 9. Le trochaïque peut commencer par un pied complet, comme :
Optimus beatus ille qui procul negotio ;
ou par un pied incomplet comme :
Vir optimus beatus ille qui procul negotio.
Mais il ne peut se terminer que par un pied incomplet. Et ces pieds sont incomplets soit qu’ils représentent des demi-pieds entiers, comme dans ce dernier exemple, soit qu’ils ne renferment pas la moitié d’un pied, comme deux brèves finales dans ce vers choriambique Soit qu’ils renferment plus de la moitié d’un pied, comme les deux longues qui commencent ce dernier vers ; ou le bacchius, à la fin d’un second choriambe ; exemple :
Maecenas atavis edite regibus.