sur les ailes de la piété par delà ces études, qu’ils n’aillent pas se condamner à un labeur inutile : qu’ils laissent leurs ailes se développer sous l’influence des principes de la religion, dans le nid de la foi chrétienne : soutenus par elles, ils échapperont aux fatigues et à la poussière du voyage ; l’enthousiasme pour la patrie céleste étouffera en eux la curiosité de connaître les avenues sinueuses qui y conduisent. Car les pages précédentes n’ont été écrites que pour ceux qui, livrés aux sciences mondaines, s’engagent dans de funestes erreurs et consument la vigueur de leur esprit dans des futilités, sans se rendre compte du charme qui les y retient : s’ils pouvaient en avoir conscience, ils verraient le moyen de briser le réseau qui les enlace et découvriraient le principe où réside la bienheureuse paix.
CHAPITRE II.
2. Le M. Je veux m’élever avec toi, qui es mon ami, des choses sensibles aux choses spirituelles, en prenant la raison pour notre commun guide ; réponds-moi donc ; quand on prononce ce vers :
Deus creator omnium, où résident les quatre iambes et les douze temps qui le composent ? Est-ce dans le son qui frappe l’oreille ? Est-ce dans le sens de l’ouïe ? Est-ce dans la prononciation ? Ou enfin, comme le vers est bien connu, est-ce dalle la mémoire ? — L’E. C’est, je crois, dans tout cela. — Le M. N’est-ce pas ailleurs encore ? — L’E. Non, à moins qu’il n’y ait un principe plus mystérieux et plus élevé auquel se rattachent toutes ces choses. — Le M. Pas d’hypothèse pour le moment. Puisque tu distingues nettement qua tre classes de son, sans en apercevoir aussi clairement une cinquième, établissons bien la différence qui les sépare et voyons s’ils peuvent se produire isolément. En effet, tu m’accorderas sans doute qu’il peut se produire quelque part un son qui frappe l’air par moments et par intervalles semblables aux temps de cet iambe, sans qu’il y ait personne pour l’entendre : par exemple, lorsque l’eau tombe goutte à goutte, ou qu’un corps obéit à un mouvement. Or distingues-tu alors d’autre espèce de son que la première, où le nombre réside dans le son lui-même ? — L’E. Je n’en vois aucune autre.
3. Le M. Que dire maintenant du son considéré dans l’organe même de l’auditeur ? Peut-il exister si aucun son ne se produit au-dehors ? Je ne te demande pas si l’oreille a la vertu de percevoir un son qui vient à se produire : elle le possède, et cela en l’absence de tout son ; le silence fût-il complet, la faculté d’entendre serait fort distincte de la surdité. Voici toute ma question : se cache-t-il dans le sens de l’ouïe des rapports d’harmonie, en l’absence même de tout son ? Posséder virtuellement des principes d’harmonie et percevoir un son harmonieux sont deux choses bien distinctes. Si tu touches du doigt une partie sensible du corps, ce mouvement est perçu par le tact chaque fois qu’il se renouvelle : ce mouvement ne peut donc être étranger à celui qui le ressent ; aussi ne te demandé-je pas si le tact a la capacité de sentir, quand personne ne le touche ; mais s’il renferme virtuellement les rapports selon lesquels le mouvement s’exécute ? — L’E. Il me semble peu vraisemblable que le sens de l’ouïe ne renferme pas en lui de tels rapports même quand aucun son ne le frappe : autrement il ne serait ni flatté de l’harmonie des sons ni choqué de leur discordance. Cette harmonie intérieure qui nous aide naturellement et sans le concours de la raison à trouver qu’un son est flatteur ou désagréable, est pour moi l’harmonie particulière au sens de l’ouïe. Ce sens en effet, l’ouïe, dis-je, n’acquiert pas cette faculté de distinguer les sons quand il les entend : les oreilles s’ouvrent de la même manière, que le son soit harmonieux ou discordant. — Le M. Prends bien garde de confondre ici deux choses fort distinctes.
Si l’on prononce un vers rapidement ou avec lenteur, la durée des temps change, quoique le rapport entre les pieds reste invariable. Par conséquent, l’impression agréable qu’il fait à l’oreille, dans son genre, est due à la faculté que nous avons d’approuver les sons harmonieux et de repousser les sons faux : mais l’impression qu’il produit en tant qu’il est prononcé plus ou moins vite, tient uniquement à la durée des sons qui frappent l’oreille. L’impression