Ainsi, quand nous entendons, il ne se produit pas dans l’âme des mouvements sous l’influence des sons matériels. As-tu quelque objection à me faire ? — L’E. Mais que se passe-t-il chez celui qui entend ? — Le M. Quel que soit ce secret qu’il nous sera peut-être impossible de découvrir ou d’expliquer, peut-il nous faire douter que l’âme ne soit meilleure que le corps ? L’aveu de notre insuffisance est-il une raison pour assujettir l’âme au corps, pour dire qu’il est capable de la façonner, d’y imprimer les nombres, de telle sorte qu’il soit l’artisan, et qu’elle ne soit qu’un instrument avec lequel il produise un effet d’harmonie ? Si nous admettons ce point, il faut nécessairement reconnaître que l’âme est inférieure au corps, et qu’y a-t-il de plus déplorable, de plus horrible qu’une pareille opinion ? Ainsi donc je vais essayer, dans la mesure des farces que Dieu daignera m’accorder, de découvrir et d’expliquer ce mystère. Si notre faiblesse commune, ou la mienne seule, empêche cette recherche d’avoir le succès que nous désirons, nous reprendrons nos investigations dans un moment de tranquillité, ou nous soumettrons le problème à des intelligences plus hautes, ou enfin nous renoncerons de bonne grâce à percer cette obscurité. Mais il ne faut pas pour cela laisser échapper les vérités que nous possédons. — L’E. Je veillerai de tout mon pouvoir à ce que ton principe ne s’ébranle pas dans mon esprit toutefois j’ai le plus vif désir de voir ce secret cesser d’être impénétrable.
9. Le M. Je vais tout de suite te découvrir ma pensée : suis-moi, ou, si tu le peux, prends les devants, quand tu verras que j’hésite ou que je m’arrête. Selon moi, le corps n’est impressionné par l’âme qu’autant qu’elle fait un effort d’activité : jamais non plus il ne la rend passive ; c’est elle qui agit en lui et sur lui comme étant soumis à son empire par la volonté divine. Mais son activité se déploie librement ou rencontre des obstacles, selon que son plus ou moins de mérite lui fait trouver plus ou moins de docilité dans la nature matérielle. Ainsi donc les objets extérieurs qui frappent le corps ou se trouvent en sa présence produisent, non sur l’âme, mais sur le corps, un effet qui s’oppose ou s’associe au mouvement des organes. Aussi lorsque l’âme lutte contre le corps rebelle et qu’elle entraîne péniblement dans la voie où se dirige son activité, la matière qui lui est soumise, elle devient, en raison même de la difficulté qu’elle éprouve, plus attentive à ses actes. Cette difficulté, en tant que l’âme y fait attention et en a conscience, est appelée sensation, et elle prend le nom de douleur ou de peine. Si au contraire l’objet extérieur, qui frappe le corps ou se trouve à sa proximité, lui convient, elle réussit sans peine à le faire mouvoir soit dans son ensemble soit dans les parties dont le concours lui est nécessaire, vers le but de son activité, et cet acte, par lequel elle met le corps qui lui est uni en communication avec un corps étranger qui lui agrée, ne lui échappe pas, l’impression du dehors la faisant agir avec plus d’attention ; et la convenance qu’elle y trouve, lui fait goûter une sensation de plaisir. N’y a-t-il pas d’aliments pour réparer le corps ? Le besoin naît immédiatement : et, comme la difficulté attachée à cette opération rend l’âme plus attentive et éveille en elle la conscience, la faim, la soif et autres souffrances analogues se produisent. A-t-on fait un excès ? L’estomac surchargé rend l’activité, plus pénible, l’attention s’éveille ; et comme cette opération n’échappe pas à l’âme, la crudité se fait sentir. L’attention même accompagne l’acte par lequel l’excès de nourriture est rejeté, et la facilité ou la difficulté de cette évacuation engendre le plaisir ou la peine. Quand la maladie jette le trouble dans l’organisme, l’âme y porte son attention, cherchant à conjurer les défaillances ou la décomposition du corps, et c’est en vertu de cet acte accompagné de conscience, que l’âme, comme on dit, sent la maladie et la souffrance.
10. Pour abréger, il me semble que l’âme, lorsqu’elle sent dans le corps, n’en éprouve aucune modification passive, — mais agit plus attentivement dans les modifications qu’il subit ; et que ces actes, faciles, quand ils lui sont sympathiques, pénibles, quand ils lui sont antipathiques, ne lui échappent pas ; qu’en cela consiste tout le phénomène qu’on appelle sentir. Quant au sens qui est en nous, même quand nous ne sentons pas, c’est un organe physique que l’âme gouverne et dont elle se sert pour régler les sensations du corps, pour rapprocher les objets semblables, ou écarter les objets contraires à sa nature. Sans doute il y a en mouvement dans l’œil un agent lumineux, dans les oreilles, un air pur et subtil, dans les narines, une vapeur, dans la bouche, une substance fluide, dans le tact, un principe visqueux.