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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/484

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bien plus évident que nous les apprécions avec les nombres de jugement, et que c’est le souvenir qui nous les représente encore. Car si les nombres de réaction ne sont appréciés qu’autant qu’ils sont représentés à l’esprit par la mémoire, il est bien plus vrai de dire que ceux auxquels le souvenir nous ramène, après d’autres efforts d’activité, subsistent et se retrouvent dans la mémoire, comme si nous les y avions mis en dépôt. Que faisons-nous en effet, en évoquant nos souvenirs ? Ne cherchons-nous pas à retrouver un dépôt ? Or, un mouvement, qui ne s’est pas encore effacé, se représente à l’esprit, à propos de mouvements analogues, et c’est là ce qu’on appelle souvenir. C’est de cette façon que nous reproduisons en esprit ou par le jeu des organes des mouvements antérieurs. Et comment reconnaissons-nous qu’ils ne se présentent pas pour la première fois, mais qu’ils reviennent à l’esprit ? C’est qu’ils se reproduisaient avec peine, au moment qu’ils se fixaient dans la mémoire et que nous avions besoin d’un avertissement pour les suivre : au contraire, lorsque cette peine a disparu, qu’ils se plient docilement aux ordres de la volonté, à leur moment et dans leur ordre, et qu’ils ont acquis la souplesse de ces mouvements qui, plus profondément gravés dans l’esprit, s’accomplissent par leur propre impulsion, notre pensée fût-elle occupée ailleurs, alors nous nous apercevons qu’ils ne se produisent pas pour la première fois.

Nous avons encore, selon moi, un autre moyen de nous apercevoir qu’un mouvement actuel s’est produit antérieurement en nous. C’est de le reconnaître, en comparant grâce à la lumière de la conscience, les derniers mouvements, plus vifs sans aucun doute, de l’opération accomplie au moment du souvenir, avec les mouvements plus calmes que reproduit la mémoire : cette reconnaissance, cette revue n’est que le souvenir.

Ainsi les nombres de jugement apprécient les nombres de mémoire, non isolés, mais accompagnés des nombres d’action ou de réaction, ou de tous deux ensemble : car ce sont ces derniers qui les tirent de leurs profondeurs et les mettent en lumière, et qui, renouvelant pour ainsi dire leurs traces effacées, les représentent à l’esprit. Donc, puisque les nombres de réaction ne sont appréciés qu’autant que la mémoire les met en présence des nombres de jugement, à leur tour les nombres de mémoire, qui subsistent dans le souvenir, peuvent être reproduits par les nombres de réaction et ainsi être appréciés : toutefois il y a cette différence que, pour faire tomber les nombres de réaction sous les prises du jugement, la mémoire doit reproduire les traces toutes fraîches qu’ils ont laissées dans leur fuite rapide, tandis que quand nous apprécions avec l’oreille les nombres de mémoire, les mêmes traces se renouvellent par le retour des nombres de réaction.

Quant aux nombres sonores, est-il besoin d’en parler ? Ils sont appréciés par le concours des nombres de réaction, lorsqu’ils frappent l’oreille. Et s’ils retentissent sans qu’on les entende, ils échappent à notre jugement, personne n’en doute. Il en est des danses et autres mouvements visibles comme des sons qui sont transmis par l’appareil de l’ouïe : les rapports de temps y sont appréciés par le jugement aidé de la mémoire.

CHAPITRE IX.

IL Y À DANS L’ÂME D’AUTRES NOMBRES SUPÉRIEURS AUX NOMBRES DE JUGEMENT.

23. Puisqu’il en est ainsi, essayons d’aller au-delà des nombres de jugement, si nous le pouvons, et examinons s’il n’y en a pas d’autres qui leur soient supérieurs. Sans doute ils ne nous laissent point apercevoir les intervalles du temps : toutefois ils ne servent qu’à juger les mouvements qui ont lieu dans la durée, et ceux-là seulement qui peuvent être associés par la mémoire. Aurais-tu quelque objection à me présenter ? — L’E. Je suis singulièrement frappé des propriétés et de la puissance des nombres de jugement : c’est d’eux que semblent relever toutes les fonctions des sens. Ainsi quelle espèce de nombre pourrait-on découvrir au-dessus d’eux ? Je ne le vois pas. — Le M. Nous ne risquons rien en cherchant avec une attention nouvelle. Car, ou nous découvrirons dans l’âme des nombres supérieurs aux nombres de jugement, ou nous nous convaincrons qu’ils sont les plus élevés, si leur supériorité nous est clairement démontrée. Ne pas exister, ou échapper à notre intelligence et à celle de tout autre homme, sont deux choses bien différentes. Mais que se