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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/490

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profondément oublié qu’on ne puisse, par une interrogation qui remue les souvenirs, rappeler à la mémoire. — Le M. Il serait bien étrange que les interrogations d’un homme te rappellent ce que tu as mangé à dîner, l’an dernier. — L’E. Oh ! pour cela, c’est impossible et je renonce à croire qu’on puisse, à l’aide d’interrogations, rappeler à l’esprit la quantité de syllabes dont on a perdu le souvenir. — Le M. Et d’où vient cela sinon que, dans le mot Italie, par exemple, la première syllabe, allongée autrefois librement par certaines gens, est devenue brève aujourd’hui par un autre caprice de la mode ? Or, que deux et un ne fassent pas trois et que deux brèves ne répondent pas à une longue, c’est un principe que les morts n’ont pu infirmer, que les vivants ne peuvent ébranler, et que n’ébranleront pas nos descendants. — L’E. Il n’y a rien de plus évident. — Le M. Et si on procède par la méthode d’interrogation, que nous venons d’appliquer à la question de savoir si deux et un font trois, à propos de cette harmonie supérieure, que fera l’homme chez qui l’ignorance tient, non à l’oubli, mais au manque d’instruction ? Ne penses-tu pas qu’en dehors de la quantité des syllabes il ne puisse pareillement connaître cet art ? — L’E. N’est-ce pas là un point incontestable ? — Le M. À quoi donc se réduit l’instinct qui éveillera chez lui la notion de l’harmonie et produira cette aptitude qu’on appelle l’art ? Lui sera-t-elle communiquée par un interrogateur ? — L’E. Cet instinct se réduit à reconnaître la justesse des questions qu’on lui fait et à y répondre.

36. Le M. Eh bien ! dis-moi à présent si les nombres découverts par cette méthode te semblent variables ! — L’E. Non assurément. — Le M. Tu ne refuses donc pas d’admettre qu’ils sont éternels ? — L’E. Loin de là : je les reconnais pour tels. — Le M. Eh quoi ! N’éprouves-tu pas une crainte secrète qu’ils ne recèlent un certain défaut d’harmonie ? — L’E. Il n’est rien au monde dont je sois plus assuré que de leur harmonie. — Le M. Mais de quelle source l’âme peut-elle recevoir un principe éternel et immuable sinon de Dieu, l’Être éternel et immuable ? — L’E. C’est la seule doctrine à laquelle on puisse s’arrêter. — Le M. Dernière conséquence. N’est-il pas évident que celui qui, à l’aide d’interrogations, ressent un élan intérieur qui le rapproche de Dieu, pour en comprendre l’immuable vérité, sera impuissant, s’il ne retient cet élan par la force de la mémoire, à contempler cette vérité sans recevoir un avertissement du dehors ? — L’E. C’est évident.

CHAPITRE XIII.

DE LA MANIÈRE DONT L’AME SE DÉTOURNE DE L’IMMUABLE VÉRITÉ.

37. Le M. Où se porte donc l’esprit, quand il se détourne de la contemplation des choses éternelles, au point que la mémoire doit l’y rappeler ? Ne serait-ce pas qu’il est occupé d’un autre objet ? — L’E. C’est mon avis. — Le M. Examinons donc, s’il te plaît, quel est l’objet qui attire son attention et la distrait de la contemplation de l’immuable et souveraine harmonie. Il n’y a de possibles que trois hypothèses : l’objet qui l’occupe doit être aussi parfait, inférieur ou supérieur. — L’E. Les deux premières hypothèses seules méritent d’être discutées : car je ne vois pas ce qui peut être supérieur à l’éternelle harmonie. — Le M. Vois-tu mieux ce qui peut être aussi parfait, sans se confondre avec elle ? — L’E. Assurément non. — Le M. Il se porte donc uniquement vers un objet inférieur. Or, le premier objet inférieur qui s’offre à la pensée, n’est-ce pas l’âme elle-même qui, tout en admettant l’existence de cette immuable harmonie, reconnaît qu’elle est elle-même sujette au changement par cela seul qu’elle porte son attention tantôt sur cette harmonie, tantôt sur un autre objet ; et qui, en changeant ainsi d’objets, crée cette succession du temps qui est incompatible avec les choses immuables et éternelles ? — L’E. J’y souscris. — Le M. Ainsi cette disposition ou ce mouvement qui fait comprendre à l’âme qu’il y a des choses éternelles et que les choses du temps leur sont inférieures, réside dans l’âme elle-même ; elle reconnaît aussi qu’il faut plutôt se porter vers les choses supérieures que vers les choses inférieures. N’est-ce pas sensé ? — L’E. Rien de plus raisonnable.

38. Le M. Ne serait-ce pas une question aussi intéressante à ton sens, que d’examiner comment l’âme ne s’attache pas aux choses éternelles aussitôt qu’elle sait qu’il faut s’y attacher ? — L’E. C’est une question que je te prie de traiter avec toute l’importance qu’elle mérite, et je brûle de savoir la cause de ce malheur. — Le M. Tu la découvriras aisément si tu veux bien remarquer quels sont les objets