forces de sa raison et de sa conscience ; par conséquent, c’est un trésor qu’elle possède intérieurement. Donc être enflé d’orgueil consiste pour elle à se répandre au-dehors, à s’épuiser pour ainsi dire et dès lors à avoir moins d’être. Or se répandre au-dehors, qu’est-ce, sinon sacrifier les biens du dedans, en d’autres termes tenir Dieu éloigné de soi, non par la distance dans l’espace, mais par les dispositions de l’âme ?
41. La tendance secrète de l’âme est de se soumettre les autres âmes ; je n’entends pas celles des animaux, que la loi divine nous a soumis, mais les êtres raisonnables qui lui tiennent de plus près et qui lui sont unis dans une égale et fraternelle communauté de privilèges. C’est sur eux que l’âme, dans son orgueil, désire surtout exercer son influence, et ce mode d’activité lui semble l’emporter autant sur le gouvernement des corps que l’âme l’emporte sur le corps même. Or Dieu seul peut agir sur les âmes, non par l’intermédiaire des corps, mais par sa puissance immédiate. Cependant dans la condition où le péché nous a placés, l’âme peut agir sur d’autres âmes, en leur manifestant sa volonté par des intermédiaires sensibles, c’est-à-dire par le langage naturel, comme l’expression de la physionomie ou les gestes, ou par des signes de convention, comme les paroles. Car, soit qu’elle commande, soit qu’elle emploie la persuasion, elle a recours à des signes : il en est de même dans toute autre sorte de communication des âmes entre elles. Une conséquence fort naturelle s’en est suivie : c’est que toutes les âmes qui désirent par orgueil exercer la prééminence, ne peuvent gouverner ni les organes auxquels elles sont unies, ni les autres corps, soit parce qu’elles n’ont pas en elles-mêmes une raison assez puissante, soit qu’elles s’affaissent sous le poids des chaînes de leur mortalité. Ainsi donc les nombres et les mouvements qui font agir les âmes les unes sur les autres, ont pour effet de les arracher, par le désir de la gloire et des grandeurs, à la contemplation de la simple et pure vérité. Il n’y a que Dieu en effet qui glorifie l’âme bienheureuse, en lui donnant la grâce de mener secrètement en sa présence une vie de justice et de piété.
42. Ces mouvements que l’âme produit à propos des âmes qui lui sont attachées ou soumises, ressemblent aux mouvements de progrès, car elle se porte vers elles comme elle ferait vers son corps. Quant à ceux qu’elle produit, lorsqu’elle désire s’attacher ou se soumettre quelques âmes, ils rentrent dans la classe des mouvements de réaction. Car l’âme agit alors comme elle ferait à propos d’une impression des sens, s’efforçant de s’assimiler un objet en quelque sorte du dehors et de repousser ce qu’elle ne peut s’assimiler. Ces deux espèces de mouvements sont recueillis par la mémoire qui leur communique la propriété de se reproduire, au milieu de l’agitation à laquelle elle se livre pour les imaginer en leur absence et pour en inventer de semblables. Pour apprécier ce qu’il y a de bien ou de mal dans ces actes, on voit s’élever dans l’âme les nombres de jugement, que nous pouvons appeler encore sensibles, parce que l’âme, pour agir sur l’âme, emploie des signes sensibles. Livrée à cette multitude d’efforts complexes, l’âme se détourne de la contemplation de la vérité : qu’y a-t-il d’étonnant ? Elle l’aperçoit sans doute dans les moments de calme qu’ils lui laissent, mais comme elle n’a pu encore s’en affranchir, elle ne peut fixer son attention ni s’y arrêter. Par conséquent il ne suffit pas à l’âme de connaître l’objet sur lequel elle doit s’arrêter pour s’y arrêter effectivement. N’aurais-tu pas quelque objection à faire contre cette explication ? — L’E. J’aurais mauvaise grâce à te contredire.
CHAPITRE XIV.
43. Le M. Après avoir examiné, comme nous l’avons pu, les causes de la corruption et de l’abaissement de l’âme, qu’avons-nous à considérer sinon cette influence souveraine d’en-haut qui, la purifiant et la dégageant de son fardeau, lui fait reprendre son vol vers le séjour de la paix et la fait rentrer dans la joie de son Seigneur ? — L’E. Examinons donc cette question. — Le M.: Eh ! crois-tu que je vais longtemps m’étendre sur ce sujet, quand la divine Écriture, dans une foule de livres, d’une autorité, d’une sainteté incomparables, ne fait que nous avertir d’aimer Dieu et Notre-Seigneur, de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit, et d’aimer le prochain