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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/587

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pas aimé, nous perdons sans douleur. Quoiqu’on paraisse vaincre, on est donc vaincu, quand on acquiert en triomphant ce qu’on ne pourra perdre sans amertume ; on triomphe au contraire, quoiqu’on paraisse vaincu, quand en cédant on arrive à ce qu’on ne peut perdre malgré soi.

CHAPITRE XLVIII.

QUELLE EST LA JUSTICE PARFAITE ?

93. Tu aimes la liberté ? Cherche donc à t’affranchir de toute affection pour les créatures périssables. Tu veux régner ? Sois soumis et uni à Dieu, le suprême et unique dominateur, en l’aimant plus que toi-même. La justice parfaite consiste à préférer ce qui est meilleur, à aimer moins ce qui est de moindre valeur. Aime donc l’âme sage et parfaite, telle qu’elle se montre à toi : n’aime pas de la même manière l’âme insensée ; mais parce qu’elle peut arriver à la sagesse, et à la perfection. Nul en effet ne doit aimer sa propre folie autrement, il ne fera aucun progrès dans la sagesse ; et jamais on ne deviendra ce que l’on désire si l’on ne se liait tel que l’on est. Mais jusqu’à ce qu’on parvienne à cette sagesse, à cette perfection, qu’on supporte les travers du prochain comme on supporterait les écarts de sa propre folie, avec le désir d’être sage. Si donc l’orgueil n’est qu’une ombre de la vraie liberté et de la domination véritable, la divine providence nous rappelle par ce moyen ce que signifient les aspirations de nos vices et quel est le but où nous devons tendre après nous en être dépouillés.

CHAPITRE XLIX.

DE LA CURIOSITÉ. — COMMENT ELLE PEUT CONDUIRE L’HOMME A LA VÉRITÉ.

94. Quant aux spectacles et à tout ce qui tient à la curiosité, qu’y cherche-t-on autre chose que le plaisir de connaître ? Mais alors quoi de plus admirable, de plus beau que la vérité ? C’est à elle que tout spectateur prétend arriver lorsqu’il met tous ses soins à ne pas être trompé, et lorsqu’il se glorifie s’il vient à la découvrir avec plus de pénétration que d’autres, s’il l’apprécie avec plus de sagacité. Il n’est pas jusqu’au prestidigitateur avouant qu’il veut tromper, que l’on n’examine avec soin, dont on n’observe tous les mouvements avec la plus grande attention. Réussit-il à faire illusion ? Comme on ne peut se vanter de sa propre science, on est heureux de la sienne, de celle qui a trompé. Si cet homme ignorait ou paraissait ignorer par quels moyens il trompe le spectateur, on se garderait d’applaudir à une ignorance que l’on partage. Mais si quelqu’un de l’assemblée a saisi son secret, il se croit plus digne d’éloges que le joueur, uniquement parce qu’il n’a pu être trompé. Et si le grand nombre l’ont découvert, celui-ci ne paraît plus digne d’éloges ; on rit même de ceux qui ne peuvent comprendre. Ainsi partout la palme est réservée à la connaissance, à la découverte habile, à l’intelligence de la vérité, que jamais on ne peut saisir en la cherchant à l’extérieur.

95. Dans quelles frivolités, dans quelles turpitudes sommes-nous donc plongés ! On nous demande ce que l’on doit préférer du vrai ou du faux ; nous répondons unanimement que le vrai est préférable ; néanmoins les amusements et les vrais plaisirs, où jamais le vrai, toujours le faux nous séduit, attirent plus puissamment nos cœurs que les oracles de la vérité. Ainsi notre châtiment se trouve dans notre jugement et nos aveux, puisque notre raison condamne ce que poursuit notre vanité. Ce ne serait qu’un jeu, qu’un spectacle, si nous ne perdions pas de vue la réalité dont la représentation nous amuse. Mais cette passion nous entraîne loin du vrai, nous ne savons plus ce que figurent ces représentations auxquelles nous nous attachons comme à la beauté première, et en les quittant, nous sommes tout entiers dans les images qu’elles ont laissées en notre âme. Voulons-nous ensuite rentrer en nous pour nous livrer à la recherche de la vérité ? Ces images se mettent en travers de notre route, nous ferment le passage, cherchent à nous dépouiller, non à force ouverte, mais par des embûches excessivement dangereuses, et nous ne comprenons pas le sens profond de ces paroles : « Défiez-vous des simulacres[1]. »

96. Ainsi les uns sont précipités par le vague de leurs pensées au milieu de mondes innombrables. Les autres n’ont pu concevoir Dieu que sous l’idée d’un corps de feu. D’autres voient une lumière immense répandue au loin en des espaces sans limite ; ils la voient

  1. 1Jn. 21.