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DE LA GENÈSE AU SENS LITTÉRAL.

Cette traduction est l’œuvre de M. CITOLEUX.

LIVRE PREMIER. CRÉATIONS PRIMITIVES[1].

CHAPITRE PREMIER.

DIVERS SENS DE L’Écriture. PREMIERS MOTS DE LA GENÈSE.


1. L’Écriture se divise en deux parties, comme nous le fait entendre le Seigneur lui-même, quand il compare un docteur versé dans la science du royaume de Dieu à un père de famille « qui « tire de son trésor des choses anciennes et des choses nouvelles[2] » ces deux parties s’appellent aussi les deux Testaments. Dans les saints Livres, il faut toujours examiner la révélation des vérités éternelles, le récit des évènements, les prophéties, les préceptes et les avis moraux. À propos des évènements on se demande s’il suffit de prendre les faits au sens figuré, et s’il ne faut pas encore les accepter et en soutenir l’authenticité comme faits historiques. Qu’il y ait des allégories dans l’Écriture, c’est ce qu’aucun chrétien n’oserait nier, pour peu qu’il songe aux paroles de l’Apôtre quand il dit : « Toutes ces choses leur arrivaient pour nous servir de figures[3] » ou quand il cite ces mots de la Genèse : « Ils seront deux en un même Corps[4] » pour exprimer le mystère auguste de l’union de Jésus-Christ avec son Église[5].
2. Puisque l’Écriture admet cette double interprétation, cherchons, en dehors de toute allégorie, le sens attaché à ces mots : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » Faut-il entendre par là l’origine du temps, les éléments primitifs de la création ou le principe suprême, je veux dire le Verbe, Fils unique de Dieu ? En outre, comment Dieu peut-il se manifester, et, sans cesser d’être immuable, créer des êtres soumis aux changements du temps ? Que signifient les mots ciel et terre ? Représentent-ils les esprits et les corps que renferment le ciel et la terre, ou seulement les corps ? En supposant qu’une soit point ici question des esprits, les termes de ciel et de terre ne servaient-ils qu’à désigner la matière dans les régions supérieures ou inférieures de l’espace ? Sous les mots de ciel et de terre faut-il voir la substance matérielle ou spirituelle en l’absence de toute forme : je veux dire la vie de l’esprit, tel qu’il peut exister en lui-même, avant de s’être uni au Créateur, union qui fait sa beauté et sa perfection, et sans laquelle il ne possède pas sa forme véritable ; je veux dire aussi la vie du corps, tel qu’on peut le concevoir dépouillé de toutes les propriétés que révèle la matière, quand elle a atteint sa perfection et que les corps ont pris les formes susceptibles d’être perçues par la vue ou tout autre sens ?
3. Ou bien, faut-il entendre, par le mot ciel, la créature immatérielle, parfaite et bienheureuse du moment qu’elle reçut l’être ; par le mot terre, la matière imparfaite encore ? car, est-il dit, « la terre était invisible, sans forme, et les ténèbres étaient sur l’abîme » expressions qui semblent désigner dans la matière l’absence de toute forme. Faut-il voir dans ce passage l’imperfection naturelle aux deux substances ; au corps, par ce que la terre était invisible et sans forme » à l’esprit, parce que les ténèbres étaient sur l’abîme ? » L’abîme ténébreux serait dans ce cas une métaphore pour désigner l’état primitif de l’esprit, avant qu’il s’unisse à son Créateur ; cette union étant l’unique moyen de mettre en lui l’ordre, pour faire disparaître l’abîme, et la lumière, polir chasser les ténèbres ? Dans quel sens devons-nous aussi entendre que « les « ténèbres étaient sur l’abîme ? » Serait-ce que la lumière n’existait pas encore ? Car si elle eût existé, elle serait élevée et comme répandue, dans les

  1. Gen. 1, 1-5
  2. Mt. 13, 52
  3. 1 Cor. 10, 11
  4. Gen. 2, 24
  5. Eph. 5, 31-32