Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Il était dès le commencement en Dieu. Toutes choses ont été faites par lui et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui[1]. » Or, l’extravagance peut-elle aller jusqu’à soutenir que Dieu n’a pas fait les choses qu’il connaissait ? S’il les connaissait, où pouvait-il les connaître, sinon en lui-même, uni a son Verbe, par qui tout a été fait ? S’il les avait vues en dehors de lui, qui l’en aurait instruit ? « Qui donc a connu les pensées du Seigneur ? Qui l’a aidé de ses conseils ? Qui lui a donné le premier et sera rétribué ? Car, c’est de lui, par lui et en lui que sont toutes choses
[2]. »
30. Du reste cette pensée est mise dans tout son jour par les paroles qui viennent immédiatement après : « Ce qui a été fait est vie en lui et la vie était la lumière des hommes[3]. » En effet les êtres raisonnables, parmi lesquels se range l’homme fait à l’image de Dieu, ne trouvent leur véritable lumière que dans le Verbe, par qui tout a été fait, lorsque leur âme purifiée du péché et délivrée de l’erreur, est entrée en communication avec lui.
CHAPITRE XIV. EXAMEN DU TEXTE : Quod factum est, in illo vita.
31. En lisant ce passage, gardons-nous de faire entrer dans le premier membre de phrase les mots : « in illo » et de réduire la proposition principale aux mots : « vita est », en d’autres termes, de ponctuer ainsi ; quod factum est in illo, erat vita : ce qui a été fait en lui, était vie. Qu’y a-t-il donc qui n’ait été fait en lui quand le Psalmiste, après avoir cité plusieurs créatures même terrestres, s’écrie : « Vous avez tout fait dans votre Sagesse[4];» quand l’Apôtre nous apprend. « que toutes choses ont été crées en lui, celles qui sont au ciel comme celles qui sont, sur la terre, les choses visibles et les choses invisibles[5] ? » En ponctuant ainsi, il faudrait admettre que la terre elle-même avec tout ce qu’elle contient est la vie. Or, s’il est absurde de prétendre que tout est vivant, combien l’est-il davantage de dire que tout est la vie, surtout au sens que l’Évangéliste précisé avec tant de rigueur, quand il ajoute : « Et la vie était la lumière des hommes ? » Coupons donc ce passage de façon à lire : « Ce qui a été fait, est la vie en lui » c’est-à-dire, n’existe pas nécessairement et en soi, puisque l’être ne lui a été donné que par la création, mais possède la vie par celui qui a connu tous les êtres, dont il est l’auteur, avant qu’ils fussent formés, Dès lors cette vie n’est plus ici une existence contingente ; c’est la vie et la lumière des hommes, la Sagesse elle-même, le Verbe, Fils unique de Dieu. Le sens est le même que dans ce passage : « Comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d’avoir en lui-même la vie[6]. »
32. N’oublions pas d’ailleurs que des manuscrits plus corrects portent : « quod factum est, in illo vita erat, ce qui a été fait, était vie en lui » et qu’il faut entendre les deux mots : « était la vie » comme on entend : « au commencement était le « Verbe et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était « Dieu. » Donc, ce qui a été fait avait désormais la vie en lui; non la vie telle quelle, ce mot s’appliquant aux bêtes qui n’ont aucune communication avec la Sagesse, mais cette vie qui est la lumière des hommes. Les intelligences, en effet, quand elles ont été purifiées par sa grâce, peuvent jouir de cette vision sublime et béatifique, au-delà de laquelle il n’y a plus rien.
CHAPITRE XV. COMMENT LES CHOSES SONT-ELLES VIE EN DIEU ?
33. Mais en supposant qu’il faille lire : « Ce qui a été fait, est vie en lui » il nous reste à éclaircir comment ce qui a été fait est en lui vie. Or, c’est dans son essence qu’il a tout vu, quand il a tout fait, et il l’a fait comme il l’a vu ; il ne voyait pas les êtres en dehors de lui ; c’est en lui-même qu’il compta toutes les choses qu’il fit. Cette vue de la création n’était pas différente chez le Père et le Fils : elle était une comme leur substance. Voici comment la Sagesse elle-même, par qui tout a été créé, est dépeinte dans le livre de Job : « Mais d’où vient donc la Sagesse ? Et quel est le lieu de l’intelligence ? Les mortels n’en connaissent pas le chemin et elle ne se trouve pas chez les hommes. » Un peu plus bas il ajoute : « Nous avons ouï sa gloire : le Seigneur nous a découvert le chemin de la Sagesse et il sait où elle est. C’est lui qui a achevé tout ce qui existe sous les cieux ; il connaît tout ce que la terre contient, tout ce qu’il a fait. Il a pesé les vents, il a mesuré les eaux, quand il les fit, et comme il les a vus il les a comptés.[7] » Ces témoignages prouvent que les choses étaient connues du Créateur, avant d’être créées. Elles étaient d’autant plus parfaites dans l’intelligence divine,