Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/216

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qu’elles y étaient plus conformes à la vérité éternelle et immuable. Il suffit sans doute de savoir ou du moins de croire fermement que Dieu a créé l’univers : cependant nul n’est assez dénué d’intelligence pour penser que Dieu ait fait des choses qu’il ne connaissait pas. Or, s’il connaissait les choses avant de les faire, elles étaient évidement connues de lui, avant d’être créées, selon le mode dont elles subsistent éternellement, invariablement, et qui les confond avec la vie elle-même : mais elles ont été créées selon le mode d’existence assigné à chaque être d’après son espèce.

CHAPITRE XVI. DIEU EST PLUS FACILE A CONNAÎTRE QUE LES CRÉATURES.


34. Cet Être éternel, immuable, ce Dieu qui existe par lui-même, comme il l’a révélé à Moïse en lui disant : « Je suis l’Être[1] » a sans doute une nature bien différente des créatures qu’il a faites ; il possède en effet l’être véritable et par lui-même, en ce qu’il est toujours de la même manière, et que, loin de changer en acte, il ne peut changer même virtuellement ; aucune de ses' créatures ne peut se produire ni subsister en possédant comme lui la plénitude de l’être : car il ne saurait les faire sans les connaître, ni les connaître sans les voir, ni les voir sans les contenir en lui : or, il ne peut contenir en lui-même des êtres qui ne sont pas encore formés, qu’autant qu’il ne l’est pas lui-même. Son essence ineffable ne peut se définir que grossièrement dans les langues humaines, à l’aide de termes empruntés aux idées de temps et d’espace, pour dépeindre Celui qui est avant l’espace et le temps. Cependant le Créateur est plus près de nous qu’une foule de ses créatures. C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être[2]; quant aux créatures, la plupart sont éloignées de notre raison par la distance même que la matière met entre les esprits et les corps ; puis, notre raison elle-même est impuissante à voir au sein de Dieu les principes qui ont présidé a leur formation, et à découvrir ainsi, en dehors de l’expérience, leur nombre, leurs propriétés, leur grandeur véritable. Enfin, ils échappent même à nos sens, parce qu’ils sont trop loin ou que d’autres corps viennent se placer entre eux et nos organes, et nous empêchent de les voir ou de les toucher. Ainsi on les découvre avec plus de peine que leur auteur, et tout ensemble il y a un bonheur incomparablement plus élevé à voir d’un coup par le moindre rayon des perfections divines, qu’à embrasser dans sa science toutes les merveilles de l’univers. C’est donc avec raison que la Sagesse adresse ces reproches aux investigateurs du siècle : « Si leur génie, dit-elle, a été assez puissant pour pénétrer l’univers, comment n’en ont-ils pas découvert le Seigneur plus facilement encore ?[3] » Nos yeux ne peuvent découvrir les fondements de la terre, mais Celui qui les a posés est tout près de notre intelligence.

CHAPITRE XVII. DES EXPRESSIONS : AVANT LE SIÈCLE, DEPUIS LE SIÈCLE, DANS LE SIÈCLE.


35. Considérons maintenant les êtres que Dieu a créés tous ensemble et les œuvres dont il s’est reposé le septième jour : nous examinerons ensuite les œuvres où son activité se fait sentir aujourd’hui encore. Pour lui, il existe avant tous les siècles ; ce qui existe depuis le siècle, est ce qui existe depuis l’origine des siècles, comme le monde lui-même ; et ce qui est dans le siècle désigne pour nous tout ce qui y naît. Aussi après avoir dit « Tout a été fait par lui et sans lui rien n’a été fait » l’Évangile ajoute un peu plus bas : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui[4]. » Le monde est ici l’ouvrage dont l’Écriture a dit ailleurs : « O Dieu, vous avez fait le monde d’une matière sans forme[5]. » Le monde est souvent appelé dans l’Écriture, comme nous l’avons remarqué, ciel et terre : c’est l’ouvrage que Dieu fit, lorsque le jour fut créé. Nous avons traité ce sujet avec tout le développement qu’il nous a paru comporter, cherchant à expliquer que, dans sa création primitive, le monde a dû s’achever en six jours avec tout ce qu’il contient, qu’en même temps il s’est fait avec le jour, et qu’ainsi tout concourt à prouver que Dieu a créé tout ensemble[6].

CHAPITRE XVIII. DE L’IGNORANCE OU NOUS SOMMES D’UNE FOULE DE CRÉATURES. COMMENT SONT-ELLES CONNUES DE DIEU ET DES ANGES ?


36. Il y a dans le monde une foule d’êtres que nous ne connaissons pas ; les uns, comme les astres

  1. Exod. 3, 14
  2. Act. 17, 28
  3. Sag. 13, 9
  4. Jn. 1, 3, 10
  5. Sag. 11, 18
  6. Sir. 18, 1