Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/235

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fluide que chasse le souffle, la nature de l’âme ne serait pas identique à celle du corps : c’est un point sur lequel nos adversaires sont d’accord avec nous. Par conséquent, l’âme, force dirigeante et motrice, est essentiellement distincte du souffle qu’elle produit en mettant les organes en jeu et qu’elle tire non de sa substance, mais du corps qui lui est soumis. Or, Dieu gouverne la créature comme l’âme gouverne le corps, quoique d’une manière infiniment supérieure ; pourquoi donc n’admettrait-on pas que Dieu, dans l’acte d’insufflation dont parle l’Écriture, tira une âme de la créature soumise à sa volonté, puisque l’âme humaine est assez puissante pour produire un souffle par le jeu des organes, sans l’emprunter à sa substance, quoiqu’elle exerce sur le corps un empire moins absolu que Dieu sur la nature universelle ?
5. Nous aurions pu dire que le souffle divin n’est pas l’âme, et que Dieu par un acte d’insufflation créa l’âme dans l’homme : mais comme on pourrait se figurer que Dieu a fait par sa parole des œuvres plus parfaites qu’avec son souffle, par la raison que la parole chez l’homme est plus excellente que le souffle ; nous reconnaîtrons qu’on peut confondre l’âme avec le souffle divin, sans abandonner le raisonnement qui précède, à condition de voir dans l’insufflation, non une émanation de la substance divine, mais la production d’un souffle ; et dans la production d’un souffle, celle d’une âme. Cette opinion est conforme à la parole que Dieu a fait entendre par la bouche d’Isaïe : « L’esprit sortira de moi ; c’est moi qui ai créé tout souffle. » Qu’il ne soit point ici question d’un souffle matériel, la suite le fait assez voir. Le prophète ajoute en effet : « Et à cause du péché, je l’ai affligé et je l’ai frappé [1]. » Qu’entend-il donc par souffle, sinon l’âme affligée ; frappée par suite du péché ? L’expression : « J’ai créé tout souffle » ne revient-elle donc pas à dire : j’ai créé toute âme ?

CHAPITRE IV. DIEU N’A FAIT SORTIR L’ÂME NI DE SON ESSENCE NI DES ÉLÉMENTS.


6. Si Dieu était pour nous l’âme du monde physique, et si le monde physique était comme son corps nous serions obligés d’admettre qu’il forma, en soufflant, une âme matérielle, composée de l’air extérieur, par voie d’expiration ; toutefois il faudrait voir dans la substance produite par cette insufflation, non une émanation de soli être, mais un composé de l’air répandu dans son corps, semblable au souffle que l’âme produit avec l’air ambiant par le jeu des organes, sans le tirer d’elle-même. Mais comme Dieu, d’après nous, ne commande pas seulement a. la nature physique, et qu’il s’élève infiniment au-dessus de tous les corps comme de tous les esprits créés, nous devons admettre que l’âme qu’il a créée par insufflation n’est ni un écoulement de sa substance, ni un composé d’éléments matériels.

CHAPITRE V. L’ÂME EST-ELLE TIRÉE DU NÉANT ?


7. Maintenant l’âme a-t-elle été tirée du néant ou sort-elle d’un principe immatériel qui fui créé sans être encore elle-même ? Cette question mérite d’être examinée. Or, si nous croyons que Dieu ne tire plus rien du néant, depuis qu’il a tout créé à la fois, si nous admettons qu’il s’est reposé, après avoir achevé en principe les œuvres dont il devait désormais tirer tous les êtres qu’il produirait, je ne vois pas comment on pourrait s’expliquer qu’aujourd’hui il crée les âmes de rien. Faut-il admettre, au contraire, qu’en créant les œuvres des six jours primitifs, il fit ce jour mystérieux, et selon une opinion plus vraisemblable, le monde des esprits et des intelligences ; c’est-à-dire la société de Anges, puis l’univers, c’est-à-dire le ciel et la terre ? Faut-il croire que dans ces substances et créa les principes, non les substances mêmes de tous les êtres à venir, par la raison que s’ils avaient été créés tels qu’ils devaient exister un jour, ils n’auraient plus eu besoin de naître ? Alors on doit reconnaître que l’âme n’existait pas encore substantiellement dans les œuvres divines, et que sa naissance date du moment où Dieu la fit par un acte humain d’insufflation et l’associa au corps de l’homme.
8. La question est loin d’être résolue : on veut savoir si Dieu a tiré de rien la substance appelée âme et jusque-là pur néant, si dis-je, l’acte d’insufflation n’ayant point eu lieu avec le concours d’un élément étranger, comme celui qu’accomplit l’âme en chassant l’air du corps, ne s’est opéré sur aucun principe, et a produit, quand Dieu l’a voulu, l’âme humaine ; ou Lien, s’il y avait un principe spirituel qui, sans être encore la substance de l’âme, lui préexistait, et qui sous le souffle divin devait former l’âme humaine, au même titre que le corps humain n’était pas réalisé,

  1. Is. 57, 16, 7. Sel. LXX