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être absolument immortel est celui dont à l’Apôtre a dit : « qu’il possède seul l’immortalité[1]. » Sur tout autre point débattu dans ce livre, que la discussion serve à montrer au lecteur comment on peut rechercher les vérités laissées dans l’ombre par l’Écriture, en se préservant de toute assertion présomptueuse. Si ma méthode ne lui plaît pas, qu’il en pénètre au moins l’esprit, en d’autres termes, qu’il consente à m’instruire s’il le peut, ou qu’il cherche avec moi un commun maître.

LIVRE HUITIÈME.

LE PARADIS TERRESTRE[2].

CHAPITRE PREMIER.

LE PARADIS TERRESTRE EST TOUT ENSEMBLE UNE RÉALITÉ ET UN SYMBOLE.

1. « Et Dieu planta un paradis du côté de l’orient en Eden et il y plaça l’homme qu’il avait fait[3]. » Il existe, je le sais, une foule d’opinions sur le Paradis terrestre, mais elles peuvent se ramener à trois principales : la première consiste à ne voir dans le Paradis qu’un jardin ; la seconde, à le considérer comme une allégorie ; la troisième, qui concilie les deux autres, admet le sens littéral et le sens figuré. J’avoue en passant que je partage ce dernier sentiment. Ici j’entreprends de parler du Paradis terrestre au sens littéral, selon les grâces que Dieu daignera m’accorder, et de faire comprendre comment l’homme formé du limon de la terre, c’est-à-dire pourvu d’un corps, fut établi dans un véritable jardin. Adam sans doute était la figure et le type de l’Adam futur[4]: cependant on voit en lui un homme doué de toutes les facultés de son espèce, lequel vécut un certain nombre d’années et, après avoir laissé une postérité nombreuse, mourut comme le reste des hommes, encore qu’il ne fût issu d’aucuns, parents, mais formé de la terre, en qualité de premier homme : de même on doit voir dans le jardin où Dieu le plaça, un lieu, un séjour terrestre destiné à un être formé de la terre.

2. Le récit de la Genèse ne rentre point en effet dans le genre des allégories, comme le Cantique des cantiques : il est historique comme le livre des Rois et tous ceux qui offrent le même caractère. Les récits historiques contenant les faits ordinaires de la vie humaine, on les explique aisément ou plutôt de prime-abord au sens littéral, afin de déduire des évènements passés le sens allégorique des évènements futurs ; mais comme on ne retrouve point ici le cours ordinaire de la nature, on ne peut se résoudre à voir la réalité et on conçoit tout comme des symboles ; on veut même ne faire commencer l’histoire proprement dite qu’à l’époque où Adam et Eve, ayant été chassés du Paradis, s’unirent et eurent des enfants. Mais, en vérité, est-il dans le cours naturel des choses qu’ils aient vécu tant d’années, qu’Enoch ait été enlevé au ciel, qu’une femme ait enfanté malgré la vieillesse et la stérilité, et mille autres prodiges ?

3. Mais, dit-on, il faut distinguer entre un récit de faits miraculeux et l’exposition des lois qui ont présidé à la formation des êtres. Là en effet les prodiges mêmes démontrent que le cours des choses est tantôt naturel, tantôt extraordinaire et par conséquent amène des miracles ; ici on ne fait que révéler la création des êtres. – La réponse est facile. La création elle-même a été extraordinaire par cela seul qu’elle était création. Dans l’organisation des choses du monde, n’y a-t-il pas un fait sans précédent et auquel rien ne correspond, à savoir le monde lui-même ? Faut-il donc admettre que Dieu n’a pas fait le monde, parce qu’il n’en compose plus d’autres, ou qu’il n’a pas fait le soleil, parce qu’il n’en crée pas de nouveaux ? Pour mieux déconcerter l’objection, il aurait fallu citer l’homme, au lieu de discuter sur le Paradis. N’admet-on pas qu’il a été formé par Dieu comme jamais homme ne l’a été ? Pourquoi alors refuser de croire que le Paradis a été fait de la même manière que se forme aujourd’hui une forêt ?
4. Je m’adresse à ceux qui reconnaissent l’autorité des saintes Lettres ; il en est parmi eux qui ne veulent voir dans le Paradis terrestre qu’une pure allégorie. Quant aux adversaires de l’Écriture, j’ai suivi dans un autre ouvrage[5], une méthode toute différente pour leur répondre. Cependant,

  1. 1Ti. 6, 16
  2. Gen. 2, 8-17
  3. Gen. 2, 8
  4. Rom. 5, 14
  5. Gen. cont. les Manich. ci-dessus.