doit être extraordinaire, puisqu’il n’appartient qu’à l’enfant qui, sorti de la race d’Israël, a reçu le nom d’Emmanuel, ou de Dieu avec nous[1], et nous a réconciliés avec Dieu ; en d’autres termes au Médiateur, entre Dieu et l’homme[2], à celui qui est le Verbe dans le sein de Dieu et l’homme au milieu de nous[3], celui qui s’est interposé entre nous et Dieu. C’est de lui que le prophète a dit : « Avant que cet enfant sache le bien et le mal, il rejettera le mal pour choisir le bien[4]. » Mais comment rejeter ou choisir ce qu’on ne sait pas encore, s’il n’y avait une double voie pour connaître, le bien et le mal, la raison et l’expérience ? L’idée du bien sert à faire connaître le mal, quand même on n’en ferait pas l’expérience ; réciproquement l’idée qu’on acquiert du mal par la pratique donne celle du bien : on connaît.eneffet l’étendue de sa perte, quand on en subit les tristes conséquences. Ainsi, avant de savoir par expérience le bien qu’il pourrait sacrifier, ou le mal que lui ferait sentir la perte du bien, l’Enfant dédaigna le mal pour choisir le bien : il ne voulut pas sacrifier son avantage, de peur d’être éclairé sur sa valeur en le perdant. C’est là un exemple unique d’obéissance : aussi cet Enfant, loin de faire sa volonté est « venu faire la volonté de Celui qui l’envoyait[5]; » tandis que l’homme a mieux aimé suivre sa volonté que les ordres de son Créateur. « De même donc que par la désobéissance d’un seul tous ont été faits pécheurs, de même par l’obéissance d’un seul tous deviennent justes[6]. » Et « si tous meurent en Adam, tous seront vivifiés en Jésus-Christ[7]. »
CHAPITRE XV. POURQUOI L’ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL A-T-IL ÉTÉ APPELÉ AINSI ?
33. C’est donc en vain que certaines personnes, qui deviennent inintelligentes à force d’esprit, se demandent comment l’arbre de la science du bien et du mal a pu être nommé ainsi, avant que l’homme n’eût violé en y touchant les ordres Dieu, et appris ainsi par expérience à discerner le bien qu’il avait perdu du mal qu’il avait gagné. Cette expression signifiait que l’homme, en n’y touchant pas selon la défense divine, éviterait la conséquence dont il serait victime, s’il y touchait au mépris de ces commandements. Ce n’est pas pour avoir mangé des fruits de l’arbre défendu que nos premiers parents le virent appelé l’arbre de la connaissance du bien et du mal : eussent-ils été obéissants, le terme aurait été exact par cela seul qu’il désignait le malheur qui leur arriverait, s’ils venaient à faire usage de cet arbre. Je suppose qu’il eût été appelé l’arbre du rassasiement parce qu’il aurait eu la propriété de rassasier, le mot aurait-il cessé d’être juste parce que l’homme n’y aurait jamais touché ? Il aurait suffi qu’il y vînt se rassasier pour prouver la justesse de l’expression.
CHAPITRE XVI. L’HOMME A PU AVOIR L’IDÉE DU MAL AVANT DE LE CONNAÎTRE EN RÉALITÉ.
34. Mais, ajoute-t-on, comment pouvait-il concevoir le nom attaché à cet arbre, puisqu’il était dans une ignorance absolue du mal ? Ces habiles gens ne songent guère qu’une foule de choses inconnues se conçoivent par leurs contraires, et cela si nettement, qu’on peut placer dans la conversation des termes qui ne correspondent à aucune réalité, sans être obscur, pour l’auditeur. Le néant ne représente aucune réalité, et il n’est personne qui ne comprenne le sens attaché à ces deux syllabes. Pourquoi ? C’est que l’idée d’être permet de concevoir la privation même de l’être. Le vide se conçoit également par le plein, son contraire. L’oreille est juge non seulement des sons, mais du silence. Par la vie dont il jouissait, l’homme pouvait prévoir le contraire, c’est-à-dire l’absence de la vie ou la mort : il pouvait donc concevoir la cause qui lui ferait perdre le bienfait si doux de l’existence, en d’autres termes, l’acte qui aurait pour conséquence de lui ravir la vie, le mal, le péché quelque fût le mot qui traduisit son idée. Nous-mêmes, comment avons-nous une idée de la résurrection, sans en avoir fait l’expérience ? L’idée de la vie ne nous fait-elle pas concevoir la privation de la vie que nous appelons mort ? et ne voyons-nous pas dans la résurrection un retour à l’existence même dont nous avons la consciente ? Quel que soit le terme dont on se serve pour désigner dans une langue la résurrection, la parole fait alors pénétrer dans l’esprit le signe de la pensée, et le son aide à concevoir l’idée qu’on aurait eue indépendamment du signe lui-même. La nature met du reste à éviter la perte de ses avantages, avant d’en avoir été dépouillée, une vigilance qui tient du prodige. Quel maître a donné aux animaux l’instinct d’