Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/292

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CHAPITRE VII. POURQUOI L’HOMME N’A-T-IL PAS ÉTÉ CRÉÉ AVEC LA VOLONTÉ DE NE PÉCHER JAMAIS ?


9. Eh bien ! ajoute-t-on, Dieu devait créer l’homme en lui donnant la volonté de ne jamais pécher. Soit, j’accorde qu’un être incapable de consentir au péché, est plus parfait ; mais on doit m’accorder en même temps qu’on ne saurait appeler mauvais un être créé avec la faculté de ne jamais pécher, s’il le veut, ni trouver injuste, qu’il soit puni, puisqu’il a péché par choix et non par nécessité. Si donc la raison démontre clairement la supériorité d’un être qui n’éprouve que des désirs légitimes, elle prouve clairement aussi l’excellence relative d’un être qui a le pouvoir de dompter les désirs coupables, et d’être sensible à la joie qui accompagne, non seulement les actes permis, mais encore la victoire sur une passion désordonnée. De ces deux êtres, l’un est bon, l’autre est meilleur : pourquoi Dieu n’aurait-il créé que ce dernier, au lieu de les créer tous deux ? Ceux qui sont disposés à louer la première création, doivent trouver dans les deux un sujet de louanges encore plus riche. Les saints anges représentent la première, les hommes saints, la seconde : Quant à ceux qui ont choisi le parti de l’iniquité, et qui ont corrompu par une volonté coupable les avantages de leur nature, Dieu n’était point obligé à ne pas les créer, par cela seul qu’il prévoyait leur existence. Eux aussi ont leur rôle dans le monde et ils le remplissent dans l’intérêt des saints. Quant à Dieu, s’il peut se passer des vertus de l’homme juste, à plus forte raison n’a-t-il pas besoin, des vices de l’homme corrompu.

CHAPITRE VIII. POURQUOI DIEU A-T-IL CRÉÉ LES MÉCHANTS TOUT EN PRÉVOYANT LEUR MALICE ?


10. Qui oserait dire de sang froid : Dieu aurait mieux fait de ne pas créer ceux à qui la malice d’autrui devait servir d’exemple salutaire, que de créer avec eux les misérables que leur iniquité devait conduire à la damnation ; car il sait tout éternellement ? Ce raisonnement, en effet, revient à dire qu’il vaudrait mieux avoir refusé l’existence à celui qui, mettant à profit les défauts d’autrui, reçoit par la grâce divine la couronne immortelle, que de l’avoir donnée au méchant à qui ses fautes attirent un juste châtiment. Or, quand un raisonnement invincible prouve que deux biens ne sont point égaux entre eux, et que l’un est plus parfait que l’autre, les esprits peu philosophes veulent les identifier, sans s’apercevoir qu’ils en retranchent un ; par conséquent, ils diminuent le nombre des biens, en confondant leurs variétés : l’importance exagérée qu’ils donnent à une espèce leur fait supprimer l’autre, Qui pourrait s’empêcher d’éclater, s’ils en venaient à dire sérieusement : La vue est supérieure à l’ouïe : donc l’homme devrait avoir quatre yeux et point d’oreilles ? Eh bien ! Étant établi qu’il existe une créature intelligente soumise à Dieu, sans avoir à craindre ni orgueil, ni châtiment, tandis que la créature humaine a besoin, pour apprécier les bienfaits de Dieu, « pour ne pas s’enfler d’orgueil et pour demeurer dans la crainte[1] » de voir le châtiment ; est-il un homme sensé qui veuille confondre ces deux classes d’êtres, sans s’apercevoir immédiatement qu’il supprime la seconde pour ne conserver que la première ? Un tel raisonnement supposerait un défaut absolu de logique et de bon sens. Dès lors pourquoi Dieu n’aurait-il pas créé les hommes dont il prévoyait la malice « si, voulant montrer sa juste colère et faire éclater sa puissance, il a laissé subsister dans sa grande patience les vases de colère qui étaient préparés à la destruction, afin de montrer toutes les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu’il a préparés pour sa gloire[2]? C’est à ce titre que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur[3] : » il reconnaît en effet que ce n’est pas de lui, mais du Seigneur, que dépendent à la fois et son être et son bonheur.
11. Il serait donc par trop étrange de dire ceux à qui Dieu donne une preuve si éclatante de sa miséricorde, devraient n’exister pas, s’il était nécessaire que naquissent en même temps les victimes destinées à faire briller la justice de sa vengeance.

CHAPITRE IX. RÉFUTATION DE LA MÊME OBJECTION.


À quel titre en effet ces deux classes d’hommes n’existeraient-elles pas, puisqu’elles font éclater la bonté et la justice de Dieu ?
12. Mais, les méchants seraient bons aussi, si Dieu le voulait. Ah ! Le dessein de Dieu est

  1. Rom 9,20
  2. Id. 9, 22, 23
  3. 2 Cor. 10, 17