Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/293

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bien plus sage ! Il a voulu que tous devinssent ce qu’ils voudraient ; que les bons ne pussent rester sans récompense, ni les méchants jouir de l’impunité, et que le vice profitât ainsi à la vertu. – Il prévoyait pourtant, que leur volonté les porterait au mal. – Sans aucun doute, et comme sa prescience est infaillible, c’est leur volonté, et non la sienne, qui est mauvaise. – Pourquoi donc les a-t-il créés, tout en sachant d’avance leur malice ? Parce qu’il prévoyait tout ensemble elle mal qu’ils feraient et l’avantage que les justes en retireraient. Car, en les créant, il leur a laissé le pou voir d’accomplir certains actes, et de comprendre qu’il fait servir au bien l’usage même coupable qu’ils font de leur liberté ; car ils ne doivent qu’à eux-mêmes leur volonté perverse, ils doivent à Dieu la bonté de leur être et leur juste châtiment ; ce sont eux qui se font leur place, et qui, du même coup, soutiennent les autres clans leurs épreuves en leur offrant un exemple redoutable.

CHAPITRE X. DIEU POURRAIT TOURNER AU BIEN LA VOLONTÉ DES MÉCHANTS ; POURQUOI NE LE FAIT-IL ?


13. Mais Dieu pourrait, dit-on encore, tourner au bien leurs volontés méchantes, puisqu’il est tout-puissant. – Oui, il le pourrait. – Eh ! Pourquoi ne le fait-il pas ? – C’est qu’il ne l’a pas voulu – Pourquoi ne l’a-t-il pas voulu ? C’est son secret. N’allons pas « viser à une sagesse au-dessus de nos forces[1]. » Je crois avoir suffisamment démontré tout-à-l’heure que la créature raisonnable, lors même qu’elle trouve dans l’exemple du mal, un motif pour l’éviter, est une expression assez élevée du bien ; or cette espèce de créature n’existerait pas, si Dieu tournait au bien toutes les volontés mauvaises et n’infligeait pas au péché le châtiment qu’il mérite : dès lors les êtres raisonnables se confondraient en une seule classe, la classe de ceux qui n’ont pas besoin de voir les fautes et le châtiment des méchants pour se perfectionner ; en d’autres termes, on diminuerait le nombre des espèces bonnes en elles-mêmes sous prétexte de multiplier une espèce plus parfaite.

CHAPITRE XI. LE CHÂTIMENT DES MÉCHANTS NE CONSTITUE POINT UNE NÉCESSITÉ POUR DIEU : C’EST UN MOYEN POUR LUI D’OPÉRER LE SALUT DES BONS.


14. Alors, va-t-on ajouter, il y a dans les œuvres de Dieu une partie qui ne pourrait atteindre sa perfection sans le malheur de l’autre ? – Comment ! Est-on devenu, grâce à je ne sais quelle manie de raisonner, assez sourd et assez aveugle pour ne plus sentir que la punition de quelques-uns sert à corriger le grand nombre ? Est-il un Juif, un païen, un hérétique quine fasse éclater cette vérité chaque jour, au sein de sa propre famille ? Mais dans l’ardeur de la discussion, on recherche la vérité, sans jeter les yeux sur les œuvres de la Providence qui frapperaient l’esprit, et y feraient pénétrer la loi selon laquelle le supplice des méchants, lorsqu’il ne les corrige pas, a du moins pour effet d’effrayer le reste, de sorte que la juste punition des uns contribue au salut des autres. Dieu est-il donc l’auteur de la perversité ou des crimes de ceux qui, par leur juste punition, lui offrent un moyen de veiller sur les âmes à qui il réserve cette leçon ? Non assurément : tout en sachant d’avance qu’ils seraient mauvais par leurs vices personnels, il les a néanmoins créés, parce que, dans ses conseils, ils devaient être utiles aux hommes qui auraient besoin, pour avancer dans le bien, de l’exemple du mal. S’ils n’existaient pas, ils ne serviraient à rien : or, n’est-ce pas un grand bien que leur existence, puisqu’ils rendent tant de services à cette classe d’hommes, qu’on ne, saurait chercher à supprimer, sans vouloir renoncer à en faire partie ?
15. Les œuvres du Seigneur sont grandes elles sont parfaites dans tous ses desseins[2]. Il tonnait d’avance les gens de bien, il les crée ; il tonnait d’avance les méchants, il les crée encore. Il se donne lui-même aux justes pour faire leur bonheur ; en même temps il répand ses bienfaits avec abondance sur les méchants ; il pardonne avec bonté, il punit avec justice ; de même il pardonne avec justice et punit avec bonté. Ni la vertu ni les vices d’un homme, quel qu’il soit, ne lui sont nécessaires : il n’est pas intéressé aux bonnes œuvres des justes, mais il veille sur eux en punissant les méchants. Pourquoi n’aurait-il pas permis que l’homme fût

  1. Rom. 12, 3
  2. Ps. 110, 2