Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/294

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soumis à la tentation, puisqu’elle devait l’éprouver, lui montrer sa faiblesse et amener son châtiment ? La concupiscence qui l’avait enivré du sentiment de ses forces devait produire son fruit et le remplir de confusion ; sa juste punition était destinée à faire craindre les funestes effets de la désobéissance et de l’orgueil à ses descendants, à qui le souvenir de cet évènement devait être transmis, d’après les conseils divins.

CHAPITRE XII. POURQUOI DIEU A-T-IL PERMIS QUE LA TENTATION SE FIT PAR L’ORGANE DU SERPENT ?


16. On se demandera peut-être pourquoi il a été permis au démon de tenter l’homme par l’entremise du serpent. Qu’il y ait là un symbole, l’Écriture ne le révèle-t-elle pas avec son autorité imposante, et avec toutes les preuves de la divinité de ses prophéties qui remplissent l’univers ? Je ne veux pas dire que le démon ait songé à nous offrir un symbole pour notre instruction ; mais puisqu’il ne pouvait entreprendre de tenter l’homme qu’avec la permission de Dieu, pouvait-il employer un autre moyen que celui qui lui était permis ? Par conséquent, quels que soient les enseignements que le serpent figure, il faut y voir un dessein de la Providence, qui domine jusqu’à la passion que le démon a de nuire. Quant au pouvoir de faire le mal, il ne lui est accordé que pour briser et perdre les vases de colère, ou pour humilier et mettre à l’épreuve les vases de miséricorde. Nous savons déjà quelle est l’origine du serpent ; la terre produisit, au commandement de Dieu, les animaux domestiques, les bêtes et les reptiles ; or toute créature, ayant la vie sans la raison, a été subordonnée par une loi de l’ordre divin aux créatures intelligentes, que leur volonté soit bonne ou mauvaise[1]. Pourquoi dès lors s’étonner que Dieu ait permis au démon d’agir par l’intermédiaire du serpent ? Le Christ lui-même n’a-t-il pas permis aux démons d’entrer dans le corps des pourceaux[2].

CHAPITRE XIII. ERREUR DES MANICHÉENS SUR L’ORIGINE DU DÉMON.


17. Qu’est-ce que le démon ? C’est une question qu’on approfondit d’ordinaire, parce que certains hérétiques, ne pouvant s’expliquer sa volonté perverse, l’isolent des créations du Dieu suprême et véritable, pour le rattacher à un autre principe en opposition avec Dieu lui-même. Ils sont donc incapables de comprendre que tout être, en tant qu’être, est un bien, et par conséquent né peut exister que par la puissance du vrai Dieu, source de toit bien ; ils ne voient pas que la malice de la volonté est un mouvement désordonné qui lui fait préférer les biens secondaires au souverain bien, et qu’ainsi la créature intelligente, ayant pris plaisir à considérer ses forces dans leur degré éminent, s’est enflée d’orgueil et par là même a perdu le bonheur du paradis spirituel et a séché de dépit. Cette condition n’exclut pas la bonté du principe qui la fait vivre et animer soit un corps aérien, comme l’esprit de Satan et des démons, soit un corps de boue, comme l’âme humaine, quelle que soit d’ailleurs sa malice et sa perversité. Ainsi, en refusant d’admettre qu’une créature de Dieu puisse pécher par sa volonté personnelle ; ils en viennent à soutenir que l’essence même de Dieu se corrompt et se pervertit d’abord par une dégradation fatale, ensuite par une volonté livrée au mal sans retour. Mais nous avons réfuté ailleurs ce monstrueux système.

CHAPITRE XIV. CAUSE DE LA CHUTE DES ANGES. DE L’ORGUEIL ET DE L’ENVIE.


18. Ici nous devons nous borner à interroger l’Écriture pour savoir ce qu’il faut penser du démon. Et d’abord, est-ce à l’origine même du inonde qu’il se complut dans l’idée de sa force et se vit exclu de cette société et de cet amour, qui fait le bonheur des anges en possession de Dieu ? Ou bien a-t-il vécu quelque temps avec les bons anges, partageant leur sainteté et leur bonheur ? On a prétendu que la cause de sachute.futla jalousie que lui inspira la vire de l’homme créé à l’image de Dieu. Mais la jalousie est la suite et non le principe de l’orgueil ; on ne devient pas orgueilleux par jalousie, on devient jaloux par orgueil ; pour s’en convaincre, il suffit de voir que l’orgueil est l’amour de sa propre élévation, tandis que l’envie est la haine du bonheur d’autrui. Or, l’amour-propre porte envie à ses égaux, parce qu’ils lui sont égaux ; à ses inférieurs, parce qu’il craint d’en être égalé ; à ses supérieurs, parce qu’il n’est pas leur égal.

  1. Gen. 1, 20-26
  2. Mt. 8, 32