Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mer ; un jeune débauché, qui était au nombre des passagers, remarqua son trouble ; et comme, le danger passé, il reprochait au philosophe de s’être si promptement ému, tandis qu’il n’avait, lui, ni tremblé ni pâli ; le philosophe lui répliqua que s’il n’avait pas été saisi d’effroi, c’est parce qu’il ne devait rien craindre pour une vie profondément corrompue, attendu qu’elle ne méritait pas qu’on redoutât rien pour elle.[1]. Et comme les autres passagers du navire lui prêtaient une oreille attentive, il leur fit voir un livre du stoïcien Epictète, où il était dit qu’au sentiment des Stoïciens, il n’est pas vrai que l’âme de sages soit inaccessible à de pareils troubles, ni que rien de semblable ne se trahisse dans leurs impressions ; mais qu’il y a trouble, suivant eux, quand la raison ne triomphe pas de telles émotions, tandis que quand elle en triomphe, il ne faut plus dire qu’elle est troublée. Mais il faut voir comment Agellius dit ces choses et le discute sérieusement.

XXXI. (Ib. 17, 8.) Comment Dieu appelle éternel ce qui ne durera qu’un temps ? — « Je te donnerai, et à ta race après toi, la terre où tu habites, toute la terre cultivée, pour la posséder éternellement. » Pourquoi Dieu se sert-il de ce mot éternellement, puisque la possession des Israélites ne devait être que temporaire ? Est-ce pour désigner le siècle présent ; et comme on dit en grec αιών, qui signifie siècle, dit-on αιώνιον comme on dirait séculaire ? Ou bien faut-il entendre ce terme dans le sens d’une promesse spirituelle et appelle-t-on éternel ce qui signifie une chose réellement éternelle ? Ou plutôt serait-ce un idiotisme de l’Écriture, qui appelle éternel ce qui n’a pas de terme assigné, ou ce qu’il n’y a pas de raison de ne pas faire encore, si l’on considère la volonté ou le pouvoir de celui qui agit ? Horace dit dans le même sens : « Celui-là sera éternellement esclave, qui ne sait se contenter de peu[2]. » Peut-on être esclave éternellement, quand la vie même, nécessaire pour être esclave, ne peut être éternelle ? Je n’aurais pas recours à ce témoignage, s’il ne s’agissait d’une manière de parler. Car les auteurs profanes font autorité pour nous en matière d’expressions, mais non pour les maximes et la doctrine. Or, si on peut défendre les Écritures en expliquant les termes qui lui sont propres, c’est-à-dire les idiotismes, ne le peut-on davantage encore en interprétant les mots qui lui sont communs avec les autres langues ?

XXXII. (Ib. 17, 16.) Sur les rois issus d’Abraham. – Pourquoi Dieu dit-il à Abraham, en parlant de son fils : « Et des rois des nations sortiront de lui ? » On ne voit point la réalisation de cette prophétie dans les royaumes terrestres ; faut-il donc en faire l’application à l’Église ? Ou doit-on l’entendre littéralement d’Esaü lui-même ?

XXXIII. (Ib. 18, 2.) Apparition des trois anges à Abraham. — « Et les voyant, il courut de la porte au-devant d’eux et il se prosterna en terre, et il dit : Seigneur, si j’ai trouvé grâce devant vous, ne passez pas la maison de votre serviteur. » Puisqu’ils étaient trois hommes qui lui apparurent, pourquoi dit-il : Seigneur, au singulier : « Seigneur si j’ai trouvé grâce devant vous ? » Pensait-il que l’un d’eux fût le Seigneur, et que les autres fussent des Anges ? Ou mieux, voyant le Seigneur dans la personne des Anges, ne préféra-t-il point parler à Dieu plutôt qu’à ces derniers ? Car, l’un d’eux étant resté ensuite avec Abraham, les deux autres sont envoyés à Sodome, et Loth aussi s’adresse à eux comme au Seigneur.

XXXIV. (Ib. 18, 4.) Sur le repas servi aux Anges par Abraham. — « Qu’on apporte de l’eau et je la verserai vos pieds, rafraîchissez-vous sous cet arbre, et je servirai du pain et vous mangerez. » Si Abraham les prenait pour des Anges, comment a-t-il pu les convier à cette hospitalité ? car la nourriture est un besoin pour notre chair mortelle, mais non pour la nature immortelle des Anges.

XXXV. (Ib. 18, 11.) Comment Abraham eut par miracle un enfant de Sara. — « Or, Abraham et Sara étaient vieux et avancés en âge ; et ce qui arrive d’ordinaire aux femmes avait cessé pour Sara. » Les vieux ne sont pas encore vieillards quoique on donne aussi le nom de vieillards à des personnes simplement avancées en âge. Or, s’il est vrai, comme l’affirment quelques médecins, qu’un mari avancé en âge ne puisse avoir des enfants d’une femme également âgée, quand même celle-ci éprouverait encore ce qui arrive d’ordinaire aux femmes, nous pouvons, d’après cela, comprendre l’étonnement d’Abraham à la promesse d’un fils[3], et la réflexion de l’Apôtre, qui y voit un miracle, puisqu’il dit que le corps d’Abraham était déjà mort[4]. Il ne faut pas s’imaginer toutefois que le corps d’Abraham fût mort, au point qu’il n’aurait pu avoir des enfants d’une femme jeune ; mais il l’était en ce sens qu’il n’aurait pu en avoir d’une femme avancée

  1. De la cité de Dieu, liv. 9, ch. 4
  2. Horace, liv. 1, Epitre 10
  3. Gen. 17, 17
  4. Rom. 4, 19