espèce de jeu, ces choses ne se seraient point produites à son instigation, et l’Écriture, monument d’une sainteté si autorisée et source cachée de tant de mystères à venir, ne les aurait pas rapportées ; nous n’avons pas entrepris d’en donner ici une exposition suivie, mais nous avons voulu seulement signaler ce qu’il importe de découvrir dans ce passage. Aussi bien, ce n’est pas, je pense, sans raison que Joseph ne dit pas : Je devine ce qui est caché, mais : « Un homme tel que moi devine ce qui est caché. » Si c’est une manière de parler propre à l’Écriture, il faut qu’on retrouve quelque chose de semblable dans le corps de ce divin ouvrage.
CXLVI. (Ib. XLIV.) Pourquoi Joseph diffère de se faire connaître à ses frères ? — Il ne faut pas, à mon avis, considérer à la légère la conduite de Joseph, laissant subsister tant qu’il le veut, le trouble et l’anxiété de ses frères, et en prolongeant la durée à son gré ; il ne voulait pas leur malheur, puisqu’il leur réservait pour le dénouement une joie si complète ; tout ce qu’il faisait pour différer leur allégresse, n’avait d’autre but que de mettre le comble à leur bonheur : leurs souffrances, pendant tout le temps qu’ils furent livrés à la désolation, n’avaient point, on pourrait le dire, de proportion avec la gloire et les transports de joie, qui devaient éclater en eux, quand ils reconnaîtraient le frère qu’ils croyaient perdu par leur faute.
CXLVII. (Ib. 44, 19.) Narration erronée de Juda. — Juda, quoiqu’il parle à Joseph lui-même, ne raconte pas exactement la manière dont ses frères et lui ont été traités ; il ne dit même pas qu’on les avait soupçonnés d’être des espions, comme Joseph, en effet, avait feint de le croire. Est-ce à dessein qu’il passe ce fait sous silence, ou son trouble lui fait-il oublier d’en parler ? c’est ce que rien n’indique. Quant aux réponses que les frères de Joseph lui auraient faites, et aux renseignements qu’ils lui auraient donnés au sujet de leur père et de leur jeune frère, je ne vois pas comment, même à ne considérer que le sens de la conversation qu’il rapporte, tout cela peut s’accorder avec la vérité. Cependant, qu’on y réfléchisse, et l’on verra dans ces erreurs un oubli et non un mensonge ; car Juda savait très bien que Joseph était au courant des faits, et tout ce qu’il lui disait avait pour but d’exciter sa pitié.
CXLVIII. (Ib 45, 7.) Que signifie : les restes de la grande race de Jacob ? — Quel est le sens de ces paroles de Joseph : « Car Dieu m’a envoyé devant vous, pour sauver la vie de vos restes et nourrir ce qui reste de votre grande race ? » Il n’est pas possible que ces expressions s’appliquent à Jacob et à ses fils, puisqu’ils sont tous en vie. Ces paroles, par un sens mystérieux et profond, se rapporteraient-elles à ce que dit l’Apôtre : « Par un choix de la grâce il y a des restes qui ont été sauvés[1] » selon cette prédiction du prophète « Quand le peuple d’Israël serait aussi nombreux que le sable de la mer, quelques restes seront sauvés[2] ? » Si le Christ en effet a été mis à mort par les Juifs et livré aux Gentils, comme Joseph aux Égyptiens par ses frères, ce fut afin que les restes d’Israël eussent également part au salut. Ce qui fait dire à l’Apôtre : « Et moi aussi je suis Israélite » et encore : « afin que la plénitude des nations entrât et qu’ainsi tout Israël fût sauvé[3]. » Il est question ici des restes d’Israël selon la chair et de la plénitude des nations appelées, à cause de leur foi dans le Christ, Israël selon l’esprit. Mais, si la plénitude de la foi appartient aussi au peuple Israélite, et que les Apôtres appelés déjà au salut soient une partie des restes de ce même peuple, alors la plénitude de la délivrance d’Israël à l’époque où Moïse le sauva de l’Égypte, figure ce mystère.
CXLIX. (Ib. 46, 6-7.) Que signifie ses filles et les filles de ses filles ? — « Jacob entra en Égypte avec toute sa famille, avec ses fils et les fils de ses fils, ses filles et les filles de ses filles. » Pourquoi : « ses filles et les filles de ses filles » puisque nous lisons qu’il n’en eut qu’une seule ? Nous avions dit plus haut qu’on pouvait parfaitement sous ce nom de filles entendre les petites-filles de Jacob, comme on dit tous les enfants d’Israël pour tout le peuple sorti de lui. Mais maintenant quand l’Écriture dit : les filles de ses filles, quoique Jacob n’ait eu que Dina, elle emploie le pluriel pour le singulier, comme parfois elle emploie le singulier pour le pluriel. On pourrait dire encore cependant que le nom de filles est donné ici aux belles-filles : les belles-filles de Jacob.
CL. (Ib. 46, 15.) Que faut-il entendre par les âmes sorties de Jacob ? – L’Écriture disant que Lia enfanta tant d’âmes ou que tant et tant d’âmes sont sorties de Jacob, il faut voir ce qu’il convient de répondre sur ce texte à ceux qui s’en emparent ; pour soutenir que les parents engendrent à la fois et les âmes et les corps. Que l’on dise : les âmes pour les hommes, la partie étant prise pour