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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/136

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que soient nos progrès, que nul ne dise : Il me suffit, me voilà juste. C’est le langage de celui qui est resté en chemin, et qui ne sait point arriver. Il s’arrête à l’endroit où il dit : cela suffit. Écoute l’Apôtre, à qui rien ne suffit ; vois comment il veut du secours jusqu’à ce qu’il arrive : « Mes frères », dit-il, « je ne pense pas avoir encore atteint mon but[1] ». De peur qu’ils ne se croient arrivés, il leur dit encore : « Celui qui se flatte de savoir quelque chose ne sait pas même encore comment il faut le savoir[2] ». Que dit-il donc ? « Mes frères, je ne pense pas avoir atteint mon but ». Il avait dit d’abord : « Non que j’aie déjà recueilli, ou que je sois parfait » ; et il continue : « Mes frères, je ne pense pas avoir atteint mon but ». S’il n’a rien recueilli, il est pauvre et indigent ; s’il n’est pas encore parfait, il est pauvre et indigent. Il a raison de dire : « Seigneur, aidez-moi ». Mais il a une pensée, et une pensée plus élevée. Voyons toutefois ce qu’il dit : « Que celui qui a la puissance de faire infiniment plus que tout ce que nous demandons et tout ce que nous pensons[3] ». Voyez qu’il n’est point arrivé, qu’il n’a pas atteint son but. Que dit-il donc ? « Mes frères, je ne pense pas avoir atteint mon but ; je sais uniquement que j’oublie ce qui est derrière moi, et pour m’avancer vers ce qui est devant moi, je m’efforce d’atteindre le prix auquel Dieu m’a appelé d’en haut[4] ». Il court donc, et toi tu t’arrêtes. Il dit qu’il n’est point encore parfait, et tu te glorifies de ta perfection ! Honte à ceux qui te disent : « Courage ! courage ! » Honte à toi entre tous, puisque en toi-même tu te dis : « Courage ! courage ! » Car se louer, c’est se dire : « Allons ! courage ! » Quiconque s’entend louer par les autres et accueille ces louanges, ne porte point son huile avec soi : son flambeau s’éteint, l’Époux lui fermera la porte[5].
9. Voilà brièvement, mes bien-aimés, les instructions du psaume, dans cette solennité des martyrs ; ainsi comprenons que les martyrs ont enduré une douleur corporelle ; mais nous, de quelque paix que nous jouissions, il nous est nécessaire de subir une tribulation spirituelle ; il faut que parmi les scandales, et l’ivraie, et la paille[6], cette masse qui est l’Église exhale les gémissements, jusqu’à ce que vienne la moisson, jusqu’à ce que vienne le vanneur, jusqu’au jour où tout sera vanné une dernière fois, afin que le froment soit séparé de la paille, et placé dans les greniers[7]. Mais en attendant, crions vers le Seigneur : « Je suis pauvre, indigent ; ô Dieu, secourez-moi. Seigneur, vous êtes mon soutien, ne tardez pas ». Qu’est-ce à dire : « Ne tardez point ? » Beaucoup disent : Le Christ ne viendra de longtemps. Eh quoi donc ! parce que nous lui disons : Ne tardez point, viendra-t-il avant le moment qu’il a fixé ? Quel est le sens de ce vœu : « Ne tardez point ? » Que son avènement ne me paraisse point trop tardif, Il vous paraît bien éloigné, mais il ne paraît pas éloigné à Dieu pour qui un millier d’années n’est qu’un jour, ou trois heures de veille[8]. Si tu n’as la patience, ce temps te paraîtra long, et s’il te paraît long, tu te détacheras de Dieu, tu ressembleras à ceux qui se fatiguèrent dans la solitude, et qui s’empressèrent de demander à Dieu ces délices qu’il leur réservait dans la patrie ; et comme ils ne trouvaient point dans le voyage ces jouissances qui les eussent peut-être corrompus, ils murmurèrent contre Dieu, et retournèrent de cœur en Égypte[9] : le corps en était sorti, le cœur y retournait, Loin de toi, ah ! loin de toi ces sentiments. Crains la parole du Seigneur qui dit : « Souvenez-vous de l’Épouse de Luth[10] ». Elle était en chemin, délivrée de Sodome, elle regarde en arrière ; elle demeura à l’endroit où elle avait regardé : elle fut changée en statue de sel[11], afin de te donner la sagesse. C’est une leçon qui t’est donnée, afin que tu aies plus de courage, et que tu ne demeures pas follement en chemin. Considère celui qui y demeure, et va plus loin ; considère celui qui regarde en arrière, et avec Paul, avance-toi vers celui qui est devant toi. Que signifie, ne pas regarder en arrière ? « J’oublie », répond-il. « Ce qui est derrière moi ». Alors tu poursuivras la palme à laquelle tu es appelé d’en haut, et dont tu te glorifieras plus tard. Car le même Apôtre nous dit : « Il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice, que le Seigneur, comme un juste juge, me donnera en ce grand jour[12] ».

  1. Phil. 3,13
  2. 1 Cor. 8,2
  3. Eph. 3,20
  4. Phil. 3,12-14
  5. Mt. 25,3-10
  6. Id. 13,20
  7. Mt. 3,12
  8. Ps. 89,4
  9. Exod. 16,2 ; Act. 7,39
  10. Lc. 17,32
  11. Gen. 19,29
  12. 2 Tim. 4,8