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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/138

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N’y avait-il donc point de Pécheurs avant lui ? Pourquoi dire alors : « Je suis le premier ? » J’ai devancé les autres, non par le temps, mais en malice. « Or », poursuit-il, « j’ai obtenu miséricorde, afin que je fusse le premier en qui Jésus-Christ fît éclater sa longanimité, et que je servisse d’exemple à ceux qui croiront en lui, pour la vie éternelle[1] » ; c’est-à-dire, afin que tout homme inique, tout pécheur désespérant de lui-même, s’armant en quelque sorte d’un courage de gladiateur, résolu de suivre ses penchants, parce qu’il se croit damné sans ressource, jette les yeux sur l’apôtre saint Paul, à qui Dieu a pardonné une telle cruauté, une si noire malice, et qu’il abjure son désespoir pour se retourner vers Dieu. Telle est donc la grâce que Dieu nous prêche dans ce psaume : parcourons-le, afin de voir s’il en est ainsi, ou si je ne lui donne pas un sens étranger. Je crois en effet que c’est là le sentiment qui y règne, et qui résonne dans presque toutes ses syllabes : c’est-à-dire qu’il a pour objet de nous prêcher le don gratuit de la grâce de Dieu, qui nous délivre, malgré notre indignité, non point à cause de nous, mais bien à cause d’elle-même : et quand même je ne vous tiendrais point ce langage, et que je ne vous aurais point fait ce préambule, tout homme entrerait dans ce sentiment, pour peu qu’il eût d’intelligence, et qu’il apportât son attention aux paroles de ce psaume. Le texte seul suffirait pour changer son opinion, s’il eût été d’un autre avis, et l’amener à ce qui retentit dans le psaume. Qu’est-ce à dire ? que nous placions en Dieu toute notre espérance, que par nous-mêmes nous ne présumions aucunement de nos forces ; de peur qu’en nous attribuant ce qui vient de Dieu, nous ne perdions ce que nous avons reçu.
2. Le titre de notre psaume est comme d’ordinaire une inscription placée sur le seuil pour indiquer ce que l’on fait dans la maison : « Pour David, psaume des fils de Jonadab, et « de ceux qui furent emmenés les premiers en captivité[2] ». Jonadab fut un homme dont Jérémie releva les vertus dans ses prophéties, et qui avait prescrit à ses enfants de ne point boire de vin, non plus que d’habiter dans des maisons, mais dans des tentes. Or, les fils demeurèrent dans les prescriptions de leur père, et méritèrent ainsi que le Seigneur les bénît[3]. Ce n’était point le Seigneur, mais bien kur père qui avait fait ces prescriptions. Ils les acceptèrent néanmoins comme si elles émanaient de leur Dieu : car si le Seigneur n’avait pas enjoint de ne point boire de vin, et d’habiter sous des tentes, il avait toutefois ordonné aux enfants d’obéir à leur père. Le fils ne doit donc refuser obéissance à son père, que quand le père lui commande contrairement à son Dieu. Car le père n’a plus alors le droit de s’irriter de la préférence que l’on donne à Dieu, sur lui. Mais quand le père commande ce que Dieu ne défend point, on doit lui obéir comme à Dieu, puisque Dieu a ordonné d’obéir à un père. Dieu bénit donc les fils de Jonadab à cause de leur obéissance, et les opposa à son peuple rebelle, lui reprochant de n’obéir point à son Dieu, tandis que les fils de Jonadab étaient fidèles aux prescriptions de leur père. Or, Jérémie, dans ce rapprochement, avait pour but de les préparer à être emmenés à Babylone, à ne point résister à la volonté de Dieu, et à n’attendre de l’avenir que la servitude. Telle est donc la couleur que l’on a voulu donner au titre du psaume ; aussi après avoir dit : « Des fils de Jonadab », on ajoute : « Et des premiers qui furent emmenés en captivité », non que les fils de Jonadab aient été captifs, mais parce que l’exemple de leur obéissance à leur père était proposé àceux qui allaient être emmenés captifs, afin qu’ils comprissent que leur captivité était le châtiment de leur rébellion envers Dieu. Ajoutez à cela que Jonadab signifie le volontaire de Dieu. Qu’est-ce à dire volontaire de Dieu ? Qui sert Dieu de plein gré. Qu’est-ce à dire volontaire de Dieu ? « Seigneur, vos volontés sont dans mon âme, je chanterai vos louanges[4] ». Qu’est-ce à dire encore le volontaire de Dieu ? « Je vous fais le sacrifice de ma volonté[5] ». Car si l’enseignement des Apôtres avertit le serviteur d’obéir à l’homme qu’un pour maître, non point comme par nécessité, mais de bon gré, et d’affranchir son cœur, par un service volontaire, combien plus votre volonté doit être pleine, entière, affectueuse, quand il s’agit du service de Dieu qui voit cette volonté ? Qu’un serviteur te serve à contre-cœur, tu peux bien voir sa main, son visage, sa présence, mais non découvrir son cœur. Et pourtant l’Apôtre leur dit : « Ne servez point sous le regard seulement »

  1. 1 Tim. 1,13.15-16
  2. Ps. 59,1
  3. Jer. 35,6-10
  4. Ps. 55,12
  5. Id. 53,8