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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/49

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ce que vous taisiez lorsque, pareil à une innocente brebis, vous alliez à la mort, sans ouvrir la bouche pour vous plaindre de vos bourreaux, lorsque nous vous considérions plongé dans les souffrances et la douleur, et ressentant toute notre faiblesse ? Était-ce pour cela, ô le plus beau des enfants des hommes, que vous nous dérobiez la vue de vos charmes infinis[1], et que vous sembliez n’avoir ni grâce ni beauté[2] ? Attaché à la croix, vous supportiez les insultes et les ricanements de vos ennemis : « S’il est le Fils de Dieu », disaient-ils, « qu’il descende donc de sa croix[3] ! » De tous vos serviteurs, de tous ceux qui connaissent votre suprême puissance, en est-il un seul qui ne se soit entièrement décrié : Oh ! si seulement il descendait du haut de sa croix pour la confusion de ceux qui le blasphèment de la sorte ! Mais il ne devait pas en être ainsi : il fallait que le Sauveur mourût pour le salut de ceux qui étaient condamnés à mourir, comme il devait ressusciter pour nous communiquer la vie éternelle. Voilà ce que ne comprenaient pas ceux qui le défiaient de descendre de sa croix ; mais quand, après sa résurrection, il monta glorieusement au ciel, ils comprirent les œuvres de Dieu : « Ils ont publié les œuvres de Dieu, et ils les ont comprises ».
17. « Le juste se réjouira dans le Seigneur[4] ». La tristesse ne doit plus être aujourd’hui le partage du juste. Au moment où le Sauveur mourut sur la croix, les Apôtres étaient plongés dans la tristesse, ils s’en retournèrent, le cœur accablé de chagrin et d’ennui, car ils croyaient avoir perdu toute lueur d’espérance. Le Sauveur sortit d’entre les morts, et, malgré le prodige de sa résurrection, leur tristesse était toujours la même, quand il vint les visiter. Par un effet de sa volonté, les deux disciples qui voyageaient sur le chemin d’Emmaüs ne le reconnurent point : ils gémissaient et pleuraient ; il différa de se faire connaître à eux jusqu’au moment où il leur eut exposé le sens des Écritures, et montré, par les passages de nos saints livres, que les événements devaient avoir lieu comme, ils avaient eu lieu effectivement. Il leur fit comprendre que, d’après les oracles sacrés, le Seigneur devait ressusciter le troisième jour. Mais serait-il ressuscité d’entre les morts le troisième jour, s’il était descendu de sa croix ? Aujourd’hui vous êtes tristes en voyageant mais combien vous seriez heureux et fiers si votre Sauveur, pour répondre aux insultantes provocations des Juifs, était descendu de sa croix ! Vous seriez au comble de la joie, s’il leur avait, par là, fermé la bouche. Mais attendez que le médecin vous fasse connaître ses projets et agisse : il ne descend pas de sa croix ; il veut mourir de la main de ses ennemis, pour vous préparer le remède qui doit vous guérir. Le voilà maintenant ressuscité ; il vous parle, vous ne le reconnaissez pas encore, mais vous n’en ressentirez que plus de joie lorsque vos yeux s’ouvriront. Plus tard, et par la fraction du pain, il se manifeste à eux, et ils le reconnaissent[5], et leur joie se traduit en exclamation : « Le juste se réjouira dans le Seigneur ». On annonce l’heureuse nouvelle à un disciple incrédule : le Seigneur a été vu, il est ressuscité ; la tristesse de cet Apôtre continue, car il ne croit pas à l’événement dont on lui parle : « Si je ne mets pas mes doigts à la place de ses clous, si je ne touche pas ses plaies, je ne croirai pas ». Le Sauveur lui donne son corps à toucher ; il y porte la main, il le palpe et s’écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu ! Le juste se réjouira dans le Seigneur ». Ils se sont donc réjouis dans le Seigneur, les justes qui ont vu et touché, et qui ont cru. Mais les justes d’aujourd’hui, qui ne voient point et ne touchent point, peuvent-ils, eux aussi, se réjouir dans le Seigneur ? Oui, car le Seigneur a dit à Thomas lui-même : « Parce que tu m’as vu, tu m’as cru ; bienheureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru[6] ». Réjouissons-nous donc tous dans le Seigneur ; que, réunis dans le sentiment d’une même foi, nous formions tous ce juste dont parle le Psalmiste : ne formons tous qu’un seul corps uni au même chef, et réjouissons-nous, non en nous-mêmes, mais dans le Seigneur ; car notre souverain bien réside, non en nous, mais en celui qui nous a créés : lui seul est notre bien et la source de notre joie. Qu’aucun d’entre nous ne se réjouisse en lui-même ; que personne ne présume ou ne désespère de lui-même ; que personne ne place son espérance dans son semblable, car nous devons nous efforcer d’amener les autres à partager notre confiance, mais jamais nous ne devons les considérer comme le motif et le principe de notre espérance.

  1. Ps. 44,3
  2. Ps. 53,2-7
  3. Mt. 26,40
  4. Ps. 63,11
  5. Lc. 24,16-46
  6. Jn. 20,25-29