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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/56

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Ce sont les paroles qu’il entend tout d’abord : il a sucé l’erreur avec le lait ; et comme ceux qui lui parlaient étaient ses ancêtres, et que l’enfant qui apprenait à parler était tout jeune, comment ce jeune enfant pouvait-il ne point suivre l’autorité de ses ancêtres, et ne point regarder comme bien ce qu’il leur entendait louer ? Donc les nations converties à la foi du Christ, et se souvenant dans la suite des impiétés de leurs ancêtres, pouvaient dire avec Jérémie : « Vraiment nos pères ont « adoré le mensonge et la vanité, qui ne leur ont servi de rien.[1] » : parler ainsi, c’est renoncer à leur culte et aux sacrilèges impiétés de leurs ancêtres. Mais pour leur insinuer ce culte sacrilège, il a fallu la persuasion de ceux qui leur paraissaient une autorité d’autant plus plausible, qu’elle était consacrée par un âge plus grand ; quiconque veut quitter Babylone pour venir à Jérusalem, doit faire cet aveu et dire : « Les discours des impies ont prévalu sur nous ». Nos guides nous ont enseigné le mal et nous ont faits citoyens de Babylone ; nous avons abandonné le Créateur pour adorer la créature ; nous avons laissé celui qui nous a faits pour adorer ce que nous avons fait. « Les discours des impies ont prévalu sur nous » ; mais pourtant ne nous ont pas étouffés. Pourquoi ? « Vous nous pardonnerez nos iniquités ». Que votre charité veuille bien écouter. « Vous pardonnerez nos iniquités » ; ne se dit qu’à un prêtre qui fait une offrande, pour l’expiation de l’impiété, et se rendre Dieu propice. On dit que l’impiété nous est remise, quand Dieu se rend propice à notre impiété. Qu’est-ce, pour Dieu, qu’être propice à notre impiété ? C’est nous la remettre, nous en accorder le pardon. Mais, pour obtenir de Dieu le pardon, il faut un sacrifice propitiatoire. Le Seigneur notre Dieu nous a donc envoyé un prêtre qui est le nôtre ; il a pris en nous de quoi offrir à Dieu, c’est-à-dire les saintes prémices de notre chair dans le sein de la Vierge. Tel est l’holocauste qu’il a offert à Dieu : il a étendu ses mains sur la croix, pour dire : « Que ma prière s’élève comme l’encens en votre présence, que mes mains élevées soient comme le sacrifice du soir[2] ». Car le Seigneur, vous le savez, fut mis en croix vers le soir[3] et alors nos impiétés ont été pardonnées, autrement elles nous eussent absorbés : les discours des méchants ont prévalu sur nous : nous avions pour guides les prédicateurs de Jupiter, de Saturne, de Mercure. « Les discours des impies ont prévalu sur nous ». Mais que ferez-vous ? « Vous serez indulgent pour nos impiétés ». C’est vous qui êtes prêtre et victime, qui offrez et qui êtes l’offrande. Il est le prêtre qui a pénétré jusqu’au sanctuaire du voile qui est à l’intérieur, et seul de tous ceux qui ont porté une chair comme la nôtre, il intercède pour nous[4]. Voilà ce que figurait chez le premier peuple, et dans le premier temple, cette entrée du grand prêtre seul dans le Saint des saints, alors que tout le peuple était debout au-dehors : et celui qui pénétrait seul dans l’intérieur du voile, offrait le sacrifice pour le peuple qui se tenait au-dehors[5]. Pour qui le comprenait bien, c’est l’esprit qui donne la vie ; pour qui ne comprenait pas, c’est la lettre qui tue. Tout à l’heure, à la lecture de l’Apôtre, vous avez entendu : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie[6] ». Les Juifs, en effet, n’ont jamais compris ce qui avait lieu chez ce peuple, et ne le savent pas même aujourd’hui. Car c’est d’eux qu’il est dit : « Quand on lit Moïse, il y a un voile sur leur cœur[7] ». Or, ce voile est une figure : la figure passera et fera place en eux à la vérité. Mais quand ce voile disparaîtra-t-il ? Écoute l’Apôtre : « Quand ce peuple sera converti au Seigneur, le voile sera levé[8] ». Donc, tandis qu’ils ne sont point convertis au Seigneur, ils ont le cœur voilé en lisant Moïse. Voilà ce que figurait encore la face lumineuse de Moïse, « en sorte que les enfants d’Israël ne pouvaient fixer les yeux sur sa face vous l’avez entendu tout à l’heure dans la lecture ; et il y avait un voile entre la face de Moïse qui parlait, et le peuple qui écoutait sa parole. Ils écoutaient donc sa parole à travers le voile et sans voir sa face. Que dit alors l’Apôtre ? « En sorte que les enfants d’Israël ne pouvaient fixer les yeux sur la face de Moïse. Ils ne pouvaient la contempler », dit-il, « jusqu’à la fin[9] ». Qu’est-ce à dire : « jusqu’à la fin ? » Jusqu’à ce qu’ils comprissent le Christ. Car, l’Apôtre l’a dit : « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront[10] ». Il est vrai qu’il y a une splendeur sur la face de Moïse, face corporelle et mortelle : or, cette splendeur pourrait-elle

  1. Jer. 16,19
  2. Ps. 140,2
  3. Mt. 27,46
  4. Héb. 6,19-20
  5. Id. 9,7
  6. 2 Cor. 3,6
  7. Id. 15
  8. 2 Cor. 3,16
  9. Id. 17
  10. Rom. 10,4