les enfants de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains ne le font-ils pas aussi ? Et si vous saluez vos frères seulement, que faites-vous de surcroît ? Les païens ne le font-ils pas aussi ? Soyez donc parfaits comme votre Père qui est aux cieux, est parfait. » En effet qui pourrait accomplir les commandements donnés plus haut, sans cet amour qu’on exige de nous, même pour nos ennemis et nos persécuteurs ? Or la perfection de la miséricorde, qui pourvoit aux intérêts de toute âme en peine, ne peut aller au delà de l’amour d’un ennemi ; aussi le Seigneur conclut-il par tes mots : « Soyez donc parfaits comme votre Père qui est aux cieux est parfait. » Il est bien entendu que Dieu est parfait comme Dieu et l’âme comme âme.
70. Nous voyons par là qu’il y avait déjà un certain progrès dans la justice des Pharisiens, qui était celle de l’ancienne loi, en ce que beaucoup d’hommes haïssent ceux-mêmes qui les aiment, comme des fils débauchés par exemple détestent leurs parents qui répriment leurs écarts ; par conséquent celui qui aime son prochain, bien qu’il haïsse son ennemi, est monté d’un degré. Mais sur l’ordre de Celui qui est venu non abolir, mais accomplir la loi, il portera la bienveillance et la bonté jusqu’à la perfection, s’il va jusqu’à aimer son ennemi. Car le premier degré, bien qu’il soit déjà quelque chose, est cependant si petit qu’il peut être commun avec les publicains. Quant à ces expressions de la loi : « Tu haïras ton ennemi » il faut les entendre non d’un ordre donné au juste, mais d’une concession faite au faible.
71. Ici s’élève une difficulté qu’il est impossible de passer sous silence : c’est qu’on trouve en beaucoup d’endroits de l’Ecriture des textes qui semblent, quand on ne les étudie pas sérieusement et prudemment, contredire l’ordre du Seigneur qui nous exhorte à aimer nos ennemis, à faire du bien à ceux qui nous.haïssentet à prier pour ceux qui nous persécutent. En effet, on voit dans les prophéties de nombreuses imprécations qui peuvent passer pour des malédictions ; comme par exemple « Que leur table soit pour eux un piège[1] » et toute la suite du texte puis ces paroles : « Que ses enfants deviennent orphelins, et son épouse, veuve » et tout ce que le prophète dit, plus haut et plus bas, dans ce psaume à l’adresse de Judas. On trouve çà et là, beaucoup d’autres passages dans les Écritures qui semblent contraires à ce commandement du Seigneur, et à celui-ci de l’Apôtre : « Bénissez et ne maudissez pas[2] » car il est écrit du Seigneur lui-même qu’il a maudit les villes qui n’ont pas reçu sa parole[3] ; et l’Apôtre dont nous avons parlé, a dit en parlant d’un certain personnage : « Le Seigneur lui rendra selon ses œuvres[4]. »
72. Mais la réponse est facile. Le prophète expose, sous forme d’imprécation, ce qui doit arriver ; il n’exprime point un vœu ni un désir, mais une prévision de l’avenir. Ainsi du Seigneur, ainsi de l’Apôtre ; on ne trouve point dans leurs paroles l’expression d’un souhait, mais une prédiction. En effet quand le Seigneur dit : « Malheur à toi, Capharnaüm » il veut simplement annoncer à cette ville quelque événement malheureux, punition de son infidélité, ce qui n’était point chez lui un désir de malveillance, mais une vue de la divinité. L’Apôtre à son tour ne dit pas : Que le Seigneur lui rende ; mais : « Le Seigneur lui rendra selon ses œuvres » ce qui est une prédiction, et non une imprécation. C’est ainsi encore qu’à l’aspect de l’hypocrisie des Juifs dont nous avons déjà parlé, et dont il voyait la ruine imminente, il disait : « Le Seigneur te frappera, muraille blanchie. » Les prophètes ont l’habitude de prédire l’avenir sous la forme d’imprécation, comme aussi souvent ils prophétisent l’avenir sous la figure du passé ; ainsi par exemple : « Pourquoi les nations ont-elles frémi et les peuples ont-ils formé de vains complots[5] ? » Le psalmiste ne dit pas : Pourquoi les nations frémiront-elles, et les peuples formeront-ils de vains complots, bien qu’il n’ait pas en vue de rappeler le passé, mais d’annoncer l’avenir. « Tel est encore ce passage : Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont tiré ma robe au sort[6] » il ne dit pas non plus : Ils se partageront mes vêtements, ils tireront ma robe au sort. Cependant personne ne trouve à redire à ces formes de langage, excepté celui qui ne comprend pas que cette variété de figures n’affaiblit en rien la vérité et favorise singulièrement les élans du cœur.
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